Une semaine après l'avalanche d'eau et de boue qui a envahi la partie Est de la ville de Ténès, pour ensuite l'isoler, la situation n'a, depuis, que timidement évolué. Cent soixante-huit heures sont passées, et les milliers de gens qui habitent les quartiers de la Gare, la Cave, le village Carton, les HLM, la cité du port, la route du cimetière, pataugent toujours dans la même boue, le jour, avant de replonger dans le froid et la faim, la nuit. Outre leur isolement, ces populations se sentent délaissées. Et pour cause: qui parmi ces «autorités» aussi bien de Chlef que de Ténès, leur a rendu visite? Qui s'est inquiété de leur sort? Samedi, au début de la soirée apocalyptique, l'oued Tifellès, venant de l'est, étouffé par des amas d'ordures qui s'entassaient depuis des années sur son cours, a déversé son torrent d'eau et ses tonnes de boue sur cette partie, prise en étau, du côté ouest par l'oued Allala, plus violent que jamais et les houles monstres d'une mer agitée, au nord. Encerclés de partout, les quartiers est, vitrine touristique de la ville, ainsi que ce qui restait de la cité d'urgence s'enveloppèrent rapidement de cette couverture liquide. Quelques heures après, les deux oueds qui se rencontrèrent avec la force des vagues se croisèrent, et créèrent un tourbillon qui détacha le seul pont de la route, qui relie ces quartiers au reste de la ville, elle aussi coupée du monde. Bilan: deux morts, un disparu, une quarantaine de blessés et près de huit mille personnes sinistrées. Un désastre! Dimanche, la ville découvre la catastrophe. Une partie est enterrée sous la boue. Ses victimes et ses sinistrés. Désormais, c'est toute la ville qui est isolée, dans le noir, livrée à elle-même. On se rabat sur les stocks des magasins. Certains commerçants n'hésiteront pas un instant pour augmenter les prix. L'absence d'une réaction rapide et efficace des autorités de wilaya et locales, incapables de maîtriser une telle situation, amplifia encore davantage, le désarroi des habitants. Lundi, la ville redécouvre, une seconde fois, sa misère. Le commerce va «bon train» et l'égoïsme des uns et des autres fera le reste. La «société civile», totalement déstructurée, incapable, elle aussi, de s'organiser ou de prendre sérieusement le relais, n'arrangera en rien les choses. C'est la faillite de l'ensemble, gouvernants-gouvernés. Des écoles et autres établissements publics sont mis à contribution pour recevoir les familles les plus touchées. L'après-midi, le pond Sud sera fragilement rétabli à la circulation, pour la visite du ministre des Travaux publics, M.Sellal. Ce n'est que ce jour-là qu'on verra certaines figures qui, semble-t-il, sont en charge de la région, s'exhiber devant la caméra de l'ENTV qui ne montrera pas les quartiers sinistrés. Aussitôt la visite terminée, les quartiers est retrouvent leur misère. Le reste de la ville a lentement retrouvé son cours normal. Mardi, une foule de plus en plus dense envahit la daïra pour crier sa colère. C'est aussi ce jour-là où, pour la première fois, le chef de daïra rendra «visite» aux quartiers sinistrés, ainsi que le président de l'APC, à la tête d'une délégation. La drôle de «cellule de crise», installée pour la circonstance, s'avérera aussi paralysée que paralysante. En effet, composée du trio politique de la coalition (RND, FLN, MSP), ces éléments feront plus de la surenchère politicarde, au détriment des populations sinistrées, échéances électorales obligent, au lieu d'organiser, un tant soit peu, les secours. Si le RND, sans base effective, s'efface totalement, la lutte électoraliste précoce se jouera entre le FLN et le MSP. Si le premier, dont les militants commandent le Croissant-Rouge local, attendent «patiemment» les aides, le second déclenche, quant à lui, l'association El-Irchad, d'une capacité limitée, pour parquer sa présence. Entre-temps, l'Etat brille par son absence et la cellule de crise, minée par ces luttes intestines, et les réunions stériles, devient inopérante. En face, les sinistrés de plus en plus seuls. Dans la soirée, pour la première fois, deux camions d'approvisionnement arrivent. Mercredi, outre l'aide négligeable, la désorganisation accentue davantage les frustrations des sinistrés. La pluie a cessé, et devant l'absence totale d'approvisionnement en eau, ces derniers «lavent» leur linge et autres mobiliers avec l'eau jaunâtre de boue des ruissellements. Jusqu'à samedi, ces «aides» seront toutes aussi minimes et les sinistrés, toujours isolés, se débrouilleront, comme ils peuvent. Seulement, outre le fait que ce drame a mis à nu les défaillances des structures locales de l'administration publique algérienne dans la prise en charge en aval, il fut, surtout, une catastrophe causée, en amont, par ces mêmes défaillances : comment a-t-on laissé des oueds pleins de détritus des années durant? Comment se fait-il que les ponts de l'ex-chemin de fer (l'actuel détour entre les quartiers est et la ville) construits vers 1880 résistent et que seul le pont aménagé par des entrepreneurs douteux cède ? Pourquoi les habitants de la cité dite «village Carton» qui porte très bien son nom, n'a pas été rasée et ses habitants recasés? Comparer à Alger, Ténès et Chlef ont eu plus de chance.