18, rue Ahmed Chaïb, Alger. C'est là, au cœur de la rue Tanger, dans ce quartier populaire où l'on aime venir déguster une bonne soupe aux haricots, que le Front national algérien a élu domicile, à quelques mètres de l'endroit où un immeuble vétuste s'est effondré samedi dernier, faisant deux morts. Le FNA, c'est le parti du peuple », lance un militant d'un certain âge. Le FNA serait ainsi le parti des parias et des « zawaliya », comme se plaisent à le définir ses aficionados. La formation présidée par Moussa Touati, 55 ans, fils de chahid et ancien fonctionnaire de la sûreté, est le sujet de toutes les attentions depuis qu'elle s'est hissée à la troisième place du podium aux dernières élections, améliorant significativement son classement avec un score de 1578 élus APC (11,29% des sièges) et la majorité dans 145 communes, sans compter 277 élus APW. Qui est au juste donc ce parti qui intrigue les observateurs et que d'aucuns n'hésitent à qualifier d'« invité surprise » du paysage politique national ? Quid de son profil idéologique ? Quel est son discours ? Quels sont ses moyens logistiques, son infrastructure ? Comment se présente-t-il sur le plan organique ? Est-il inféodé au pouvoir ? Est-il un parti d'opposition ? Quelle est l'étendue de son assise populaire ? A quoi ressemble son électorat ? Le FNA est né en 1999. C'est le dernier parti officiellement agréé. D'emblée, Moussa Touati, un pin's aux couleurs nationales épinglé au costume, la mine défaite après une campagne marathon qui a valu au parti, affirme-t-il, 5600 sorties dans 33 wilayas, s'offusque que l'on traite sa formation de « mystère ». Allusion à ce qu'avait déclaré le politologue Rachid Grim dans une interview à El Watan parue ce dimanche. « Le phénomène FNA reste pour moi un vrai mystère », avouait en effet perplexe le politologue qui inscrit néanmoins le parti dans la mouvance « néoconservatrice » issue du FLN. Dans un droit de réponse, Abdelkrim Benkhalfallah, un proche collaborateur de M. Touati, écrit : « Le FNA ne constitue en aucun cas un mystère. Il est d'essence populaire, création volontariste de citoyens sincères, militants de la cause nationale engagés d'une manière désintéressée pour le salut national, émanant des couches sociales diverses à l'écoute des marginaux et laissés-pour-compte. » Un « parti populaire » donc. Un parti qui brasse large. Sur le plan doctrinal, il se revendique d'un nationalisme pur et dur. « Vous savez, notre idéologie est claire : la philosophie du FNA s'inspire de la déclaration du 1er Novembre 1954 », explique Moussa Touati. « Nous travaillons pour réintégrer le citoyen algérien dans sa patrie et dans son nationalisme qui sont aujourd'hui bafoués. Que ce soit dans le champ politique, économique, culturel ou éducatif, nous constatons que le patriotisme est en train de s'effilocher. » Fatalement, le débat bifurque sur l'actualité du moment, à savoir la visite d'Etat de Nicolas Sarkozy. Pour M. Touati, « il aurait fallu, dès 1962, solder nos comptes avec la France en exigeant qu'elle assume ses crimes coloniaux ». « Hélas, nous n'avons jamais eu l'audace de faire ce travail de mémoire », ajoute-t-il. Pour lui, « c'est un devoir envers les générations futures ». M. Touati soupçonne « certains dirigeants » tapis dans l'ombre et incrustés en haut lieu de faire échec à cette exigence « parce qu'ils ont peur que leur véritable histoire soit dévoilée ». La généalogie du parti fait remonter la cellule souche au premier noyau d'enfants de chouhada qui se sont organisés au sein de l'ONEC, dont la création remonte à 1988, avant de donner naissance, suite à un vent de dissidence, à la CNEC en 1991, la Coordination nationale des enfants de chouhada. « C'est la majorité CNEC qui a créé le FNA », confie M. Touati. Un « clone » du FLN ? C'est donc tout naturellement que le parti est arrimé à ce que l'on appelle « la famille révolutionnaire » à telle enseigne que certains estiment que le FNA n'est qu'une pâle copie, un « clone » du FLN, un « parti-écran » doté d'un réservoir de voix qui viendrait en appoint dans un futur jeu d'alliances électorales. Toute présomption que M. Touati réfute en bloc et dans le détail, rejetant énergiquement l'étiquette de « sous-produit du système ». « Dire que le FNA est une création du pouvoir est une pure aberration. Quand j'étais à l'ONEC, j'ai été limogé par le FLN, précisément pour avoir défendu l'indépendance de l'ONEC afin qu'elle ne soit pas mise sous tutelle », souligne notre interlocuteur qui crie à qui veut l'entendre qu'il a toujours été un « rebelle ». « Je n'accepte le parrainage de personne, quel que soit son pouvoir », assène-t-il. Il en veut pour preuve la trésorerie du parti : « Le FNA est le seul parti qui n'a pas bénéficié de subvention à sa création. Lors du congrès constitutif, nous avons dépensé exactement 50 millions de centimes. Nous ne percevons aucun denier du Trésor public. Nous ne sommes pas des fonctionnaires de la politique. Le FNA vit exclusivement des cotisations de ses militants. » M. Touati affirme que la dernière campagne électorale a coûté moins d'un milliard de centimes aux caisses du parti. « Le FNA a été le premier à avoir remis son bilan financier », insiste-t-il. Côté infrastructures, le Front national algérien se montre, là aussi, fort modeste. Le siège national du parti est une ancienne dépendance de l'UNFA dont la CNEC a pris possession. « Nous sommes entrés ici par effraction », avoue M. Touati. A Alger, le sigle du parti est peu visible. Le bureau de wilaya du FNA se trouve à El Harrach, « un local loué par les militants ». Interrogé sur ses effectifs, M. Touati déclare : « Nous avons 300 000 militants structurés, sans compter les nouvelles demandes d'adhésion. » Un chiffre difficile à vérifier. Le FNA compte 1200 bureaux communaux à travers le territoire national. Le conseil national du parti est composé de 240 membres. En huit ans d'existence, le parti n'a pas tenu de congrès. « Il y a eu des congrès extraordinaires quand la situation l'imposait », tempère le président du FNA. Le parti compte organiser un congrès extraordinaire les 26, 27 et 28 décembre à Tipaza pour consolider son ossature organique. Quel est le profil du militant FNA ? Deux conditions sine qua none sont exigées de tout nouvel affidé : qu'il ait un passé révolutionnaire irréprochable, s'il est né avant 1942, et qu'il n'ait pas la double nationalité. Un survol de certaines listes présentées à Alger montre des candidats proches des couches moyennes : cadres, fonctionnaires, petits commerçants. « Notre vivier, ce sont les paysans. C'est la paysannerie qui a porté la révolution ! », clame M. Touati qui revendique un fort ancrage dans le monde rural. « Le FNA est le parti le plus actif sur le terrain, le plus près du peuple. Le FNA est dans tous les villages, dans les mosquées, dans les stades, dans les marchés. Et le peuple nous a récompensés pour notre effort », poursuit le leader de la rue Tanger, expliquant par-là même le score de son parti qui a laissé les sondages pantois. Le FNA, qui se définit comme un parti « d'opposition constructive », écarte tout jeu d'alliances pour le moment. M. Touati, qui avait soutenu en 2004 la candidature de Ali Benflis, entend tirer pleinement profit de cet élan de popularité pour se jeter de plain-pied dans la présidentielle de 2009.