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Alger : peur sur la ville
Exode, mouvements de panique, consommation accrue de psychotropes
Publié dans Liberté le 31 - 05 - 2003

Le cœur des Algérois bat au rythme des répliques, la psychose n'est pas loin.
D'ordinaire, la rue Didouche-Mourad, au centre de la capitale, est noire de monde. En ce jeudi pourtant, point d'animation, point de flâneurs, point de vie. Repliée sur elle-même, réfugiée dans une incommensurable détresse, l'illustre avenue respire à peine. Elle aspire la peur sous les pas saccadés de rares piétons pressés de la quitter et sous les roues des voitures qui la fuient à vive allure. C'est pourtant le week-end, un jeudi d'habitude grouillant. Mais, ce jeudi ne ressemble à aucun autre. Les Algérois tremblent comme la terre. Ebranlées par les effroyables secousses, leurs certitudes tombent comme des ruines. Leur cœur bat au rythme des répliques. Pour eux, chaque jour nouveau est le dernier. “Si je devais mourir, plutôt mourir avec mes enfants qu'ici coincé entre deux étagères”, dit Farid sur un ton résigné. Propriétaire d'une épicerie à un angle de la rue Didouche-Mourad, Farid s'apprête à fermer boutique. “Mon magasin est pratiquement le seul encore ouvert dans le quartier ?” fait remarquer l'épicier. En effet, la plupart des commerces des alentours sont fermés. Sur toute l'avenue, une dizaine à peine continue à servir une clientèle éparse. “Que voulez-vous, il faut bien continuer à vivre”, sourit tristement un marchand de tissu. Son voisin, joaillier, a, pour sa part, préféré renoncer à sa recette du jour. “Si une nouvelle secousse se produit, je serai au moins sûr que ma bijouterie sera prémunie des pillards”, explique t-il.
La clé des cadenas dans la poche, le commerçant s'en va. Il rentre chez lui, rassuré d'avoir protégé ses biens, mais pas tout à fait sûr de pouvoir en jouir éternellement ou de moins à court terme. “Personne ne sait de quoi sera fait demain”, reconnaît le malheureux bijoutier.
Craignant le pire, les propriétaires des échoppes situées dans le tunnel des Facultés, à la place Audin ont déserté les galeries. Par peur de les voir se transformer en tombeau, les autorités ont, de leur côté, pris soin de les fermer. Seul un passage souterrain reliant la place Audin à la rue Richelieu est resté ouvert. Quelques passants l'empruntent, le regard anxieux rivé sur la sortie.
Dans la rue, les plus prudents évitent de marcher trop près des bâtisses. “Quand les gens ont peur, ils rasent généralement les murs. Nous, c'est diffèrent, on se faufile entre les voitures, sans peur de nous faire écraser”, plaisante un jeune rencontré à la rue Hassiba Ben-Bouali. C'est vrai, plus qu'un accident de la circulation, le danger est contenu dans les murs frêles. “Allez à Belcourt, pratiquement tous les immeubles sont cerclés par des périmètres de sécurité”, dit notre interlocuteur.
Au boulevard Krim-Belkacem, sur les hauteurs du Télemly, les bâtiments semblent solides. Pourtant, leur armature en béton ne semble point conforter leurs occupants. “Vous plaisantez. On a vu des immeubles à la télévision tombés en ruine comme des châteaux de cartes !”, s'écrie un habitant du quartier.
Depuis les puissantes répliques enregistrées en fin de semaine, lui et sa petite famille passent leurs nuits dans la voiture. “Nous recréons un semblant d'intimité en couvrant le pare-brise avec un drap”, confie le riverain désarmé. Dans son refuge à quatre roues, l'infortuné citadin est pourtant mieux loti que certains de ses voisins, “contraints” à l'hospitalité du parc de Galland. Il est 18 heures.
L'horloge biologique des Algérois s'est arrêtée à l'heure du séisme. Machinalement, quelques riverains du parc de Galland quittent leurs habitations et se dirigent vers le jardin public.
Une foule bigarrée prend possession des lieux. Prémunis par leur insouciance, les enfants jouent dans les buissons. Assis sur les bancs, leurs parents palabrent. Ils exorcisent leurs cauchemars en se soutenant mutuellement. “On est vivant, c'est l'essentiel”, soupire une femme. Sa voisine est, quant à elle, au bout du désespoir. Résidant à Corso, son frère, sa femme et leurs deux petits garçons sont morts ensevelis sous les décombres de leur maison. “À quoi bon vivre maintenant”, murmure-t-elle. L'instinct de la vie, pourtant résiste à tout, même à la désespérance.
Sur un bout de trottoir, deux vieillards en fauteuil roulant attendent, comme tout le monde, que la terrible épreuve passe. Ils tentent de la surmonter en implorant Dieu. D'autres ont besoin d'un tout autre réconfort. Ils le puisent des psychotropes. Pris d'assaut, les pharmaciens ne savent quoi faire. Ne pouvant délivrer des antidépresseurs aux clients sans la présentation d'une ordonnance, ils sont souvent embarrassés, désolés de dire non à des âmes en déperdition, en lambeaux. “Je n'ai pas d'autre recours, sinon les envoyer en consultation psychologique”, soutient un pharmacien.
Dans les structures hospitalières, les médecins urgentistes sont confrontés à l'exacerbation de l'état de santé des malades chroniques, notamment des diabétiques, des asthmatiques et des hypertendus. Chaque réplique alourdit par ailleurs le bilan des blessés. Dans leur infini désir de vivre, beaucoup se précipitent dans la cohue et se font piétiner. Durant ce week-end, les CHU Mustapha et Bab-El-Oued ont enregistré plus d'une centaine de cas de fracture. Jeudi, à 20 heures, une panne électrique a plongé dans l'obscurité une grande partie de la capitale.
Aussitôt, les plus téméraires, ceux qui ont dans un premier temps refusé de quitter leur foyer ont rejoint leurs voisins dans la rue. Sur les trottoirs, les parkings, dans les cours d'école et les jardins publics, les rescapés de l'énième revers du destin y ont à nouveau élu domicile. Les plus chanceux sont partis à la campagne. Dans la grande ville, les maisons sont des cimetières.
S. L.
Séisme à Blida
Effondrement de trois maisons à Boufarik
Trois maisons se sont effondrées à Boufarik suite aux secousses telluriques de mercredi et jeudi derniers.
La première habitation s'est écroulée le mercredi matin à la rue Mamou-Ahmed, quant aux deux autres, le jeudi matin, à la rue Hammadouche, ce qui porte à 8 le nombre d'habitations qui se sont effondrées à Boufarik. Fort heureusement, il n'y a pas eu de victimes. Les occupants de ces habitations ont été évacués à la suite du séisme du 21 mai dernier.
Pour rappel, le séisme qui a secoué les wilayas de Boumerdès et d'Alger a été fortement ressenti dans la wilaya de Blida qui a enregistré 2 morts et 658 blessés.
Pour venir en aide aux familles sinistrées de la wilaya de Blida, la direction de la Protection civile a distribué 211 tentes à travers les communes de Meftah (80), Boufarik, El-Affroun et Larbaâ, 40 tentes chacune et 1 tente pour Chebli.
À signaler que le wali de Blida ne s'est toujours pas rendu à Meftah, localité qui a été la plus touchée par la secousse tellurique et qui a enregistré 2 morts et 80 blessés.
M. Achouri


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