Louis Caprioli est conseiller spécial à Geos (Groupe international de prévention et de gestion des risques). De 1998 à mars 2004, il a été n°3 de la DST en charge de la lutte contre le terrorisme international. Quelle analyse faites-vous des deux attentats qui ont ensanglanté, mardi 11 décembre, la capitale algérienne ? Dans ces attentats, je vois une réponse aux opérations, réussies, qui ont été menées par les services et l'armée algériens au cours de ces derniers mois, qui ont neutralisé des responsables de l'organisation Al Qaïda au Maghreb islamique, des émirs importants, parmi lesquels Bouderbala, fin novembre. La seule issue pour une organisation terroriste déliquescente parce que l'armée algérienne est de plus en plus efficace et présente dans les maquis qui se réduisent de plus en plus, c'est de commettre ce type d'attentats. C'est un moyen de réponse à cette pression militaire sur les maquis. Par ailleurs, la date du 11 décembre ne me semble pas innocente. Elle nous renvoie au 11 septembre 2001, au 11 mars 2004 et ainsi de suite. Il y a aussi cette référence au 11 décembre 1960 où les Algériens manifestaient pour leur autodétermination et l'indépendance nationale. Est-ce une coïncidence ? L'Etat algérien est ainsi frappé en ce jour commémoratif dans un de ses symboles les plus emblématiques – le Conseil constitutionnel. Frapper une organisation internationale, l'ONU qui est accusée par Al Qaïda de soutenir les « Américains », les « juifs », les « croisés », d'« asservir » le monde musulman, c'est aussi pour le GSPC s'inscrire dans une démarche internationaliste. Il y a là un ensemble de symboles, une marque, pour montrer que l'organisation est toujours puissante alors qu'elle est, en réalité, en train de s'affaiblir de plus en plus dans les maquis. Ces attentats ne signifient-ils pas aussi que le terrorisme en Algérie est en train de changer de configuration ? De stratégie ? De méthode ? Le terrorisme a changé dans le monde, pas uniquement en Algérie. Je dis toujours que la menace terroriste est aussi importante en Europe qu'elle l'est dans l'ensemble des pays arabes et j'en veux pour preuve qu'en juin 2007 deux voitures chargées d'explosifs devaient exploser dans la nuit à Londres devant des établissements où se réunissaient des jeunes. Au mois de septembre 2007, des réseaux de kamikazes ont été démantelés en Allemagne et au Danemark. A partir du moment où il est incapable de s'imposer militairement, le GSPC est obligé de recourir à ces attentats suicide. C'est une captation de la méthodologie d'Al Qaïda en Irak, en Arabie Saoudite… Ce n'est pas spécifique à l'Algérie, l'Algérie est victime de cette internationalisation du terrorisme. Vous avez fait référence à la symbolique de la date du 11. Le rattachement du terrorisme algérien au terrorisme international est bel et bien consommé ? Le terrorisme algérien est déjà inscrit dans le mouvement internationaliste. Nabil Sahraoui, l'émir qui a été neutralisé en juin 2004 par les services algériens, avait commencé à faire allégeance à Al Qaïda, avait revendiqué cette filiation. Droukdel (émir du GSPC) qui a trouvé cette opportunité a été adoubé par l'imam Ezzawahiri le 11 septembre 2006. L'organisation terroriste algérienne n'avait pas d'autre issue que ce combat djihadiste international. Même si dans leurs rêves, ils ont toujours soi-disant la volonté d'installer un émirat en Algérie, les dirigeants de cette organisation savent bien que militairement ils sont battus, donc la seule voie possible pour exister c'est de réaliser ces attentats suicide et cette allégeance à Al Qaïda. En perte de vitesse, le mouvement terroriste algérien continue toutefois de frapper... L'Etat est frappé par le terrorisme car celui-ci le considère comme un Etat « tyran », « kafer » qui n'est pas « respectueux » des règles de l'Islam, mais c'est un combat perdu car depuis 1992 jusqu'en 2007 la population algérienne a rejeté le terrorisme. Si la population algérienne avait voulu soutenir cette organisation, elle ne serait pas réduite à quelques centaines de personnes qui sont encore dans les maquis. Il y aurait eu un soulèvement, c'est ce qu'elle souhaitait d'ailleurs. Le peuple algérien s'est désolidarisé du terrorisme. Ce sont des actes de désespoir qui sont également nourris par la situation internationale. C'est ce qui est inquiétant pour l'ensemble des pays. Quelles solutions, quels moyens pour faire face au terrorisme ? Les services algériens ont un rôle considérable à mener par la recherche de l'information, on l'a vu avec la neutralisation de Bouderbala au mois de novembre. Si cet émir n'avait pas été neutralisé, on aurait eu une autre campagne terroriste. Un autre moyen de lutte contre le terrorisme relève des actions militaires telles qu'elles se développent actuellement. D'autres aspects concernent l'ensemble du monde, les aspects économiques, sociaux, donner plus d'espoir aux gens, régler les problèmes de l'Irak, de la Palestine. Il y a aussi l'endoctrinement religieux par des imams déviants, puis un élément que personne ne maîtrise : internet. On est face à des défis considérables, les réponses, on les connaît, mais dans certains cas la communauté internationale n'est pas capable d'appliquer certaines résolutions dans le monde.