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GIA, GSPC, AQMI, « échec d'un combat purement national » Louis Caprioli. Conseiller spécial pour le Groupe international de prévention et de gestion des risques
Louis Caprioli est conseiller spécial à Geos (Groupe international de prévention et de gestion des risques). De 1998 à mars 2004, il a été n°3 de la DST en charge de la lutte contre le terrorisme international. Par ailleurs, Geos est présent dans 80 pays et a une filiale maghrébine installée en Algérie depuis 10 ans. La menace terroriste en France est « à un niveau élevé », ont affirmé les directeurs des Renseignements généraux (RG) et de la Direction de la surveillance du territoire (DST), Joël Bouchité et Bernard Squarcini, lundi dernier, dans une interview conjointe à Libération. C'est aussi votre appréciation ? MM. Squarcini et Bouchité ont une évaluation fine de la menace terroriste sur la France. Pour ma part, j'ai toujours pensé que la France était une cible privilégiée des terroristes, et en particulier de la mouvance Al Qaïda, pour une raison très simple, c'est qu'au cours des dernières années, nous avons empêché de nombreux attentats et, en plus, les services français ont neutralisé plusieurs réseaux terroristes qui allaient commettre des attentats en France ou des réseaux de volontaires qui devaient combattre en Irak. Nous savions que ces volontaires, un jour ou l'autre, reviendraient en France pour commettre des attentats. Il est important aussi de tenir compte des déclarations des leaders, comme Oussama Ben Laden, Ayman Ezawahiri. Ben Laden, pour la première fois, a cité le président Sarkozy, Ayman Ezawahiri dans sa dernière intervention désigne la France comme une cible à chasser du Maghreb. On est dans un niveau élevé de la menace. Qu'est-ce qui fait que cette menace terroriste sur la France soit toujours aussi élevée ? L'ensemble de l'Europe est menacé. Il y a eu l'attentat de Madrid, l'attentat de Londres, les tentatives d'attentats de fin juin 2007 à Londres. Deux réseaux importants ont été démantelés en Allemagne et au Danemark au mois de septembre 2007. Et si la France a été préservée depuis plusieurs années, c'est parce qu'elle a un dispositif législatif et un dispositif de lutte antiterroriste adaptés. La France a été frappée en 1993, 1994, 1995, parce qu'elle était accusée par les terroristes du GIA, puis du GSPC, de soutenir les autorités algériennes. Nous étions, à la limite, le seul pays qui était accusé de soutenir le régime algérien. C'est ce qui explique que parmi les pays européens, la France soit particulièrement ciblée ? La France a été visée à l'époque et elle continue à l'être. L'émir d'Al Qaïda Maghreb islamique (AQMI), ex-GSPC, Abdelmalek Droukdel, désigne la France comme une cible potentielle, tout comme le faisait l'émir du GIA, Djamel Zitouni en 1995. Il y a une diabolisation de la France et une référence permanente à la période coloniale de la part des groupes terroristes algériens. Le fait que l'ex-GSPC devienne Al Qaïda Maghreb islamique renforce-t-il sa puissance de nuisance ? Je pense que le choix de Droukdel est stratégique. C'était cela ou disparaître. Je constate que militairement, le terrorisme algérien a régressé, et il lui fallait trouver une survie, s'ouvrir à l'international en faisant référence à Al Qaïda. Quand il a quitté le GIA en 1997, Hassan Hattab a appelé son groupe jusqu'en septembre 1998 GIA, 2e région militaire. Et c'est sur instruction d'Abou Qutada, qui était le lien entre la mouvance d'Al Qaïda et la mouvance des terroristes algériens, qu'il a intégré le terme salafiste dans l'organisation pour lui donner un nouveau caractère. GIA, GSPC, Al Qaïda Maghreb islamique. Ce changement de sigles correspond à une évolution à l'intérieur des groupes, à une stratégie ? Cela correspond à l'échec d'un combat purement national. Lorsqu'il a été créé, ensuite avec Djamel Zitouni, le GIA avait pour but de créer « l'émirat en Algérie ». Dans les années 1994-1995, Djamel Zitouni avait refusé de faire allégeance à la mouvance internationaliste, affirmant qu'il était le seul véritable combattant à l'échelle internationale. L'adoption du terme salafiste par le GSPC est capitale dans l'évolution de la mouvance terroriste algérienne. En 2001, un envoyé de Ben Laden, un Yéménite, se rend en Algérie pour vérifier que le GSPC est bien une organisation salafiste. Cet homme qui a passé presque une année en Algérie, dans l'est du pays, puis au Niger où il a rencontré Abderazak El Para, Mokhtar Ben Mokhtar… sera tué par les forces de sécurité algériennes. Le passage du national – GIA – à l'international est entériné avec la dernière mouture Al Qaïda Maghreb islamique. C'est une évolution naturelle, logique et nécessaire parce que ces groupes terroristes ont échoué dans leur combat, parce qu'ils n'ont pas su attirer à eux le peuple. Al Qaïda Maghreb peut-elle entraîner dans son sillage des mouvements terroristes dans la région ? Al Qaïda Maghreb, pour l'instant est un symbole, un sigle, mais pas une organisation au sens où ce mouvement n'a pas encore une relation stratégique avec Al Qaïda. Deuxièmement, il ne dispose pas pour l'instant de moyens militaires conséquents. Son armement est limité. C'est difficile, peut-être impossible, pour ce mouvement de recevoir un armement sophistiqué parce que l'armée algérienne maîtrise assez bien les frontières et que pour arriver à des livraisons d'armes sophistiquées, il faudrait traverser des pays hostiles. Concernant l'entraînement, les membres du GSPC, maintenant de l'AQMI, accueillent dans leurs katibas depuis plusieurs années, des Libyens, des Tunisiens, des Marocains, des Nigériens, des Maliens, des Mauritaniens. S'il existe plus ou moins un commandement unique en Algérie avec Droukdel, il n'y a pas en Tunisie, en Libye, au Maroc une structure avec un état-major, mais des cellules se sont constituées. Celles qui ont été démantelées au Maroc portent toutes des noms différents. Mais il y a des liens entre ces différents groupes nationaux ? Il y a des liens individuels, mais pas de leader à leader. Je ne vois pas apparaître dans les pays du Maghreb de structure implantée identique à AQMI. Un état des lieux du terrorisme et de la menace terroriste dans ces pays... On s'achemine en Europe comme au Maghreb vers cette menace de terrorisme kamikaze, à la voiture piégée. Parce que militairement, ils n'y arrivent pas, les terroristes se sont engagés dans une nouvelle méthodologie de frappe qui demande moins de soutien logistique. Tous les pays, que ce soit les pays arabes, musulmans ou occidentaux, ne maîtrisent pas la menace terroriste car ce sont des phénomènes qui se produisent à l'extérieur de nos pays qui entraînent l'adhésion de gens à combattre : la situation en Afghanistan, en Irak, en Palestine. Il y a encore certainement des motivations nationales pour certains terroristes, mais les nouvelles générations de terroristes, j'en suis convaincu, sont motivées par la situation internationale. En Europe, ce phénomène se constate en permanence. Les réseaux qui ont été démantelés en Europe sont motivés par la situation internationale. Le contexte international échappe à chaque pays et il en subit les conséquences. Comment prévenir les risques d'actes terroristes ? Dans la lutte contre le terrorisme, il faut être très humble. Les terroristes prennent en permanence à contre-pied les gens. Ce ne sera plus le terrorisme du GIA, on ne va pas être dans un terrorisme d'un groupe, mais d'une idéologie dévoyée pour frapper. C'est d'ailleurs pourquoi les services concernés mènent des actions de prévention sur des attaques au gaz, des attaques chimiques, parce que nous savons qu'à un moment ou à un autre nous pouvons être confrontés à ce type de phénomène. La lutte contre le terrorisme est une lutte de prévention, d'anticipation, mais elle doit aussi maîtriser tout le dispositif au niveau de la sécurité civile, des médecins… pour pouvoir faire face à ce type d'attentat. Les ministres de l'Intérieur français et algérien ont évoqué un partenariat renforcé en matière de sécurité civile, de renseignements et de lutte antiterroriste. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ? Quels seraient les développements de ce partenariat ? Le partenariat entre la DST et les services algériens a été excellent au cours des années que j'ai connues. Je pense que depuis, il s'est développé parce qu'il était de l'intérêt aussi bien des services français qu'algériens d'avoir une relation opérationnelle importante. L'échec du projet d'enlèvement des deux employés d'ADP résulte d'une coopération entre les services algériens et les services français. C'est parce qu'il y a eu une anticipation qu'il ne s'est rien passé. La rencontre entre les deux ministres vient conforter ce partenariat qui doit se développer entre la France et l'Algérie, d'une part, mais avoir aussi une dimension régionale. Le phénomène terroriste ne frappe pas seulement l'Algérie et la France, il est transnational. Au-delà de la relation bilatérale, nous devons aussi engager, quand c'est nécessaire, des relations opérationnelles entre Algériens et Français avec d'autres partenaires du Maghreb ou européens, des coopérations maîtrisées avec l'accord des deux partenaires. L'entreprise Michelin a rapatrié les familles de ses cadres. Est-ce par mesure de prévention ? La situation en Algérie ne cesse de s'améliorer. Il était tout naturel que les entreprises françaises viennent investir et s'installer en Algérie, c'est à la fois bon pour les entreprises françaises et pour l'économie algérienne, mais elles devaient le faire par étapes. La situation en Algérie n'était pas encore complètement assainie et donc il était nécessaire que les hommes partent, les familles aussi, mais en engageant une réflexion sur les conséquences des départs. Ce départ me paraît un peu précipité même si je le comprends parce qu'il y a des femmes et des enfants.