Un Aurésien de Meskiana, tout juste âgé de 68 ans, s'est éteint le 14 décembre à New York, mégalopole immodérée qui l'avait adopté depuis un coup de colère en 1965. Boubaker Adjali, Bob pour ses amis, Kapiaça pour les guérilleros angolais ou Nicolaüs Husseini, dans les maquis du Frelimo, puisque c'est de lui qu'il s'agit, si peu connu de ses compatriotes, mais combien célèbre dans le Landernau du building de verre de Manhattan qui abrite le siège Nations unies, a été brutalement ravi à l'affection des siens. Lui qui envisageait de publier son journal de marche dans les maquis de l'Angola où il avait bourlingué aux côtés d'Agostino Neto, leader charismatique du MPLA (Mouvement pour la libération de l'Angola) et dans la moiteur des forêts du Mozambique, cet homme, mi Guevara, mi Ben Boulaïd, droit tiré de Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez, a traversé à cent à l'heure, la deuxième moitié du XXe siècle. Moussebel à 17 ans, avant de rejoindre la Fédération de France où il a été blessé lors d'une opération, il avait été dirigé par les responsables du FLN vers Prague où il va entreprendre des études de cinématographie. Il sera versé dans l'ALN jusqu'à l'indépendance après quoi il dirigera la section audiovisuelle de la Commission centrale d'orientation, alors présidée par son ami Salah Louanchi. Il quittera le pays en 1965 pour ne revenir qu'en qualité de « touriste » pour y rencontrer ses parents et amis. Tous ceux qui l'ont connu, ici ou à New York, s'accordent à reconnaître qu'il a gardé un contact si étroit avec l'Algérie, qu'il en a suivi toutes les palpitations. Journaliste, homme de communication, il a marqué un point d'honneur pour s'informer sur tout ce qui s'y passait. A tel point qu'il en a étonné plus d'un, parce que, souvent, il était mieux informé que bien des résidents. Bob Adjali, qui a gracieusement aidé bien des journalistes algériens en mission aux Etats-Unis, avec une rare efficacité, grâce, entre autres, à un impressionnant carnet d'adresses dans l'univers diplomatique international et politique américain, maniait parfaitement plusieurs langues. Cela lui a ouvert bien des portes de rédactions et bien des pages de journaux et écrans de télévision pour informer sur le combat des peuples. Marxiste de sensibilité, il s'est naturellement trouvé très proche des mouvements comme le FDPLP palestinien dont les fidayine l'ont fait pénétrer dans les années 1970 au plus dur de la lutte contre le sionisme dans les territoires occupés, pour lesquels il a écrit et réalisé plusieurs documentaires. Mais aussi avec le PAIGC (Guinée Bissau), l'ANC (Afrique du Sud), le PFLOG d'Oman dont il a également accompagné les combattants, tout comme il était attentif aux revendications indépendantistes du Fretlin (Timor-Est). Ses écrits, il les signait dans des journaux et revues aussi différents que Africasia de Paris, Kommentar de Stockholm, Tricontinental de La Havane, Etumba de Brazzaville, The Nationalist de Dar Es Salam ou encore World Outlook de New York et Motive de Nashville, et bien d'autres. Boubaker Adjali a également réalisé des documentaires, dont Le 23 cessez-le-feu sur la guerre du Liban (version anglaise), Ile de la crainte, île d'espoir sur l'invasion de Timor par l'Indonésie et la lutte du Fretlin pour l'indépendance, La Marée se lève (version anglaise) sur l'Afrique du Sud, film qui fut choisi par les Nations unies pour circulation dans le monde entier pendant l'année contre l'Apartheid 1978-1979. De la terre à la lune ! sur le nouvel ordre économique et les matières premières du tiers-monde, Indépendance et unité pour le dixième anniversaire de l'OUA et Nous existons, sur les Palestiniens. En plus de ses travaux de journaliste et de documentariste, Boubaker Adjali s'est consacré à l'animation de plusieurs ONG, lesquelles militaient pour la préservation de l'environnement. Sa connaissance des Nations unies en a fait, pour bien des diplomates, un précieux conseiller. Ainsi, entre 1985 et 2000, il est conseiller auprès de la Mission permanente de Côte d'Ivoire auprès de l'ONU (New York) et également conseiller du ministre des Affaires de ce pays. En 1994-1995, il a été le conseiller du président de la 49e session de l'Assemblée générale de l'ONU, Amara Essy, ministre des Affaires étrangères de la Côte d'Ivoire. Par ailleurs, en 1999-2000, il a exercé la fonction de conseiller diplomatique du président de la 54e Assemblée générale des Nations unies, M. Bengourirab, ministre des Affaires étrangères de la Namibie. Il a également été conseiller spécial auprès du président du Conseil économique et social de l'ONU, en 2001. C'est un grand spécialiste des questions africaines et un grand Africain qui vient de disparaître. Boubaker Adjali était également un homme de culture fortement ancré dans son Algérie natale. Quelques années avant de mourir, il avait pris la résolution d'offrir sa fabuleuse bibliothèque composée de quelque 6000 ouvrages (4000 en Anglais et 2000 en Français) à la Bibliothèque nationale. Nous osons espérer que les responsables de cette institution auront une pensée reconnaissante à la mémoire de ce grand disparu.