Benazir Bhutto, de retour au Pakistan après huit ans d'exil, est sortie miraculeusement indemne d'un attentat qui ciblait son cortège jeudi à Karachi. Aux scènes de liesse qui avaient ponctué son retour ont succédé les images insoutenables d'un carnage que rien ne laissait prévoir. Des centaines de milliers de partisans de Benazir Bhutto s'étaient massés le long du parcours pour lui réserver un accueil triomphal. Cette fête a été endeuillée par le sanglant attentat perpétré par un kamikaze qui avait pu déjouer le dispositif de sécurité en profitant de la panique provoquée par une grenade lancée contre le cortège de Benazir Bhutto. Et du coup, il apparaissait à l'évidence que l'attentat était prémédité et visait à éliminer celle qui fut à deux reprises l'emblématique Premier ministre du Pakistan. Aussitôt après avoir foulé le sol natal, Benazir Bhutto avait affirmé qu'elle était revenue au Pakistan pour y faire triompher la démocratie. Et sans doute avait-elle en tête les prochaines échéances électorales qui, si elles bénéficiaient à sa formation, le Parti du peuple pakistanais, lui permettraient de revenir pour une troisième fois au pouvoir après janvier 2008. Une éventualité qui déplaît aux ennemis de Benazir Bhutto qui accuse plus particulièrement encore les cercles proches de l'ancien régime militaire de Zia Ul Haq de vouloir l'assassiner. Le général Mohamad Zia Ul Haq avait renversé lors d'un coup d'Etat, en 1977, Zulfiqar Ali Bhutto, alors Premier ministre du Pakistan, avant de le faire exécuter un peu plus tard par pendaison. Cet épisode a lourdement pesé sur la scène politique pakistanaise, marquée depuis plus de trente ans par des troubles récurrents. La montée en puissance du fondamentalisme religieux a davantage exacerbé la fragilité d'un pays au bord de l'embrasement bien que le général-président Pervez Musharraf dirige le Pakistan d'une main d'acier. Réélu pour un deuxième mandat consécutif — sous réserve de sa validation par la Cour suprême du Pakistan —, le général Musharraf a dû se résoudre à accepter le retour de Benazir Bhutto sur pression de l'Administration Bush qui tente ainsi de désamorcer l'escalade dans un pays considéré comme un allié vital dans la lutte antiterroriste. Parmi les scenarii les plus plausibles pouvait figurer un ticket Musharraf-Bhutto sous les auspices de Washington. Tout le monde ne voit pas d'un bon œil une telle configuration politique au Pakistan et le fait que Benazir Bhutto ait été visée par un attentat terroriste quelques heures seulement après son atterrissage à Karachi témoigne d'une volonté de précipiter le Pakistan dans la tourmente. La tentative d'assassinat de Benazir Bhutto, regardée comme un symbole par une grande partie du peuple pakistanais, interpelle bien sûr le pouvoir en place sur sa capacité à assurer la sécurité d'une personnalité politique de cette envergure. L'enjeu est d'autant plus fort que Benazir Bhutto a dit toute sa détermination de rester au Pakistan. Au-delà des résultats de l'enquête sur les tenants et les aboutissants de cet effroyable attentat, il s'agira de savoir à qui devait profiter le crime.