En ce lieu totalement inadéquat, la ville est en train d'enfanter un temple de la culture. Des choix apparemment faits dans la précipitation laissent planer un terrible doute sur la praticabilité du futur théâtre municipal de Mostaganem. Décidée fort judicieusement et suite à la demande expresse et largement motivée des nombreux amateurs du 4ème art, la construction de ce qui devrait constituer à la fois une revanche sur l'histoire -malheureusement dramatique de ce temple- et la nécessité impérieuse d'offrir un lieu d'expression de cette activité artistique de premier ordre pour la cité de Kaki et de Habib Tengour, risque encore une fois de se traduire par un lamentable ratage. Au départ, la cité avait son propre théâtre et pas moins de 6 salles de cinéma. C'est par délibérations de la mairie de Mostaganem en 1862 que la construction d'un théâtre sera inscrite puis exécutée. Situé en plein cœur de la cité, à quelques pas des remparts de la vieille et pittoresque citadelle, sur un espace des plus judicieux et des plus enviables, l'ancien théâtre aura parfaitement rempli sa fonction de socle de la vie nocturne et intensément festive. Accoudé au somptueux grand café à sa droite, il faisait face à l'église et à la sous préfecture où un certain Jacques Chirac fera ses classes d'énarque stagiaire. Dans les circuits qu'empruntaient les différentes troupes d'alors, cette belle et majestueuse salle de spectacle figurait en bonne place. Il faudra attendre les premières années d'une indépendance chèrement acquise pour que la solitude et le désœuvrement s'installent dans ces lieux. Alors que la ville venait de se réveiller d'une longue nuit coloniale faite de privations, de sectarisme et de profanations des mémoires et des lieux, et que l'indépendance et la liberté retrouvées invitaient à la joie et à l'épanouissement, fort curieusement, ce lieu de joie et de convivialité n'aura servi à rien. Tous les anciens de cette période ne se souviennent pas avoir assisté à la moindre manifestation culturelle ou autre dans cette indolente bâtisse datant de la seconde moitié du 19ème siècle et dont quelques cartes postales continuent de nos jours de restituer la somptuosité et l'extravagance. Désintérêt Alors que des villes d'égale envergure, comme Bougie, Annaba, Tlemcen, Skikda, Sidi Bel Abbès ou Batna étaient parvenues non sans mal à préserver et à entretenir leurs théâtres, dont certains constituent incontestablement non seulement une attraction mais également une fierté, il se trouve que Mostaganem qui est connue pour avoir donné les premières grandes associations culturelles chez lesquelles l'art dramatique constituait une préoccupation centrale, rien n'explique ce désintérêt pour ce monument fondateur de toute activité artistique ou théâtrale. Le constat est d'autant plus insolite que c'est tout de même la ville où un certains Ould Abderrahmen Kaki et un non moins célèbre Abdelkader Benaïssa, faisaient réellement autorité dans le domaine du 4ème art. La très engagée troupe Es Saâïdia montait des spectacles dignes d'intérêt, où le patriotisme prenait à contre-pied le fait colonial. Ce qui justifiait amplement l'émergence d'une intense et soutenue activité culturelle dans les moindres recoins de la citadelle de Tigditt. C'est tout naturellement qu'après l'indépendance un foisonnement culturel s'ancra dans toute la ville pour ne plus jamais la quitter. Dans le formidable foisonnement des premières années de liberté, naîtra le premier véritable festival de l'Algérie indépendante. Grâce à la synergie entre un groupe de scouts décidés et à un certain Djillali Benabdelhalim à l'imagination débordante, une petite ville de province d'à peine 60 000 habitants allait ouvrir la voie en organisant avec des moyens dérisoires, la première édition régionale du festival du théâtre amateur. La suite, tous le monde la connaît ; ce festival qui entame à l'orée de l'année 2008 ses 43 ans, est devenu la plus ancienne manifestation culturelle de l'Algérie nouvelle. Mais, au grand dam de ses inconditionnels partisans, la manifestation n'aura jamais droit à un théâtre pour l'accueillir. Elle sera organisée tantôt au stade Benslimane, tantôt au lycée Zerrouki, parfois dans l'immense salle du Cinémonde ainsi que sur l'esplanade de l'ex-ITA, pour enfin élire domicile à la maison de la culture. Tous les ans, les amateurs venus de tous le pays et parfois de l'étranger, n'auront de cesse de réclamer la construction d'un véritable théâtre. Accueillie avec dédain, voire avec mépris, l'idée fera pourtant son chemin à travers les dédales de l'administration et une enveloppe sera dégagée sur insistance de l'actuelle ministre de la Culture. Malgré quelques déboires, la bâtisse est en train de prendre forme du côté de la gare routière. Pour l'apercevoir, il faut disposer d'une excellente acuité visuelle, tant l'endroit et la forme ne permettent pas de douter un seul instant qu'en ce lieu totalement inadéquat, la ville est en train d'enfanter un temple de la culture. Après une si longue attente, la déception sera certainement à la hauteur des espoirs. A l'usage, on pourra alors se rendre compte de l'insoutenable gâchis.