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« Nos Méditerranées »
Gros plan sur le cinéma algérien et arabe
Publié dans El Watan le 10 - 12 - 2007

Les rencontres sur « Nos Méditerranées » dominées par le film de Jean-Pierre Lledo, Algérie, histoires à ne pas dire
C'est à l'initiative de la section nord de l'association Coup de soleil, laquelle regroupe des originaires du Maghreb, toutes origines confondues, que des rencontres cinématographiques sur le thème de « nos méditerranées » se sont déroulées au cinéma Le Duplexe de Roubaix, entre le 29 novembre et le 2 décembre derniers. Première tentative du genre dans une région de France où vit une forte population originaire du sud, ces rencontres visent à combler un vide au niveau de la mise en lumière de cinématographies qui n'ont plus que Montpellier pour seule fenêtre. En matière de culture, l'hexagone a de plus en plus tendance à oublier sa dimension latine et sa rive-sud qui fait face à un Maghreb dont les ressortissants en France se comptent par millions. De plus en plus d'institutionnels en prennent conscience, à l'image de Michel David qui œuvre à la municipalité de Roubaix. Ainsi, tout un public a pris le chemin de salles qu'il n'avait guère l'habitude de fréquenter jusque-là, programmation commerciale frileuse en temps normal oblige. Nombreuses avant-premières, des films pour le jeune public, des ciné-concerts et surtout, deux gros plans portés sur le Proche-Orient (que peut le cinéma ?) et le cinéma algérien. Conçues par Gérard Vaugeois, homme du 7e art s'il en est (il a été tour à tour, critique, programmateur, exploitant, distributeur et producteur de Philippe Garrel notamment), ces journées cinématographiques ont été relayées vers le public grâce à une radio communautaire : Pastel FM animée par Slimane Tir, grande figure de la vie locale roubaisienne.
Le chaos de Chahine
L'ouverture s'est faite avec le dernier Chahine, Chaos, sorti le 5 décembre dans le circuit commercial. Un bon Chahine, qui a su renouer avec ses discours d'indignation et de colère face à la corruption et à l'oppression qui gangrènent la société égyptienne. L'intrigue se situe dans le vieux quartier cosmopolite de Chouba où habitent des couches moyennes de la population caïrote. Ce quartier est totalement sous l'emprise de Hatem, officier de police véreux et corrompu, lequel se meurt d'amour pour la jeune et jolie Nour, secrètement amoureuse de Chérif, brillant et surtout intègre substitut du procureur. La jalousie de Hatem va précipiter le drame… « Je tâche de mettre le doigt sur le destin de mes compatriotes, qui ont si peu à dire en ce qui concerne les affaires du pays », souligne un Chahine de 82 ans dont l'âge n'a guère atténué les révoltes et les indignations. « Démunis de presque tout, éducation, moyens de communication, ils souffrent d'une lourde répression imposée par le pouvoir. » « Certaines manifestations, ajoute-t-il, ressemblent à des mini-guerres civiles où quelques manifestants font face à 4 ou 5000 CRS locaux. » De fait, Chahine ne fait l'impasse sur rien quant à dénoncer les conditions d'incarcération dans les commissariats où la torture est monnaie courante. Comme toujours, et avec un clin d'œil à la Baheya du Moineau, les personnages féminins expriment fortement la révolte et l'insurrection face à l'injustice sociale et politique. Bref, un Chahine qui sent le soufre, avec ce Chaos plein de bruit et de fureur. L'autre avant-première marquante, sur laquelle nous reviendrons après le 12 décembre, jour de sa sortie en France, c'est La graine et le mulet, troisième opus du très doué Abdellatif Kechiche, qui, une fois de plus, exprime ses talents de directeur d'acteurs qui en font certainement à l'heure actuelle l'un des meilleurs de France après le triomphe de L'esquive couronnée par 4 césars. La graine et le mulet a reçu à Venise le prix du Jury (quand il méritait largement le Lion d'or aux yeux de la critique internationale qui l'a d'ailleurs primé au passage) et le prix du Meilleur espoir féminin pour la très jeune et talentueuse Hafsa Herzi, une algéro-tunisienne de 20 ans, originaire de Marseille.
Mémoires multiples, identités plurielles
Et puis, nous avons pu voir en sa présence, le remarquable long métrage documentaire de Jean-Pierre Lledo, Algérie, histoires à ne pas dire, qui prolonge en les approfondissant, ses quêtes et enquêtes autour des mémoires de la guerre d'Algérie et de ses retombées contemporaines avec pour credo : sortir de la gangue d'un nationalisme étroit où la glorification monocolore maintient la vérité historique et les faits dans un non-dit préjudiciable à l'élaboration et à l'apaisement de mémoires plurielles. Bien que documentaire, le dispositif cinématographique choisi par l'auteur entremêle les genres du documentaire et de la fiction, induite par un travail de mise en scène où la rigueur le dispute à l'émotion. On suit tout d'abord Aziz, 58 ans, enseignant en agronomie à Mostaganem qui revient à Beni Malek sur les hauteurs de Skikda, théâtre de la terrible insurrection déclenchée par l'ALN, le 20 août 1955. La répression menée par les Européens fera disparaître 23 hommes de sa famille, dont son père. Malgré un certain Roger Ballestreri, un colon du coin, qui protégera 80 femmes et enfants algériens… de l'autre côté, les pieds-noirs de Beni Malek sont tous épargnés par les insurgés algériens canalisés par L'Iazid, oncle tutélaire et responsable ALN local qui disparaîtra plus tard dans un traquenard. Dénonciation ? Trahison ? Le deuxième personnage, Katiba, 58 ans également, anime à la radio d'Etat une émission qui tantôt réveille, et tantôt éveille les mémoires. Ses déambulations sur les lieux de son enfance à Bab el oued donneront lieu à une scène — véritable clé du film — au cours de laquelle, elle est prise à partie par un habitant qui n'a que faire du passé et exprime le ras-le-bol du présent… A Constantine, Jean-Pierre Lledo — toujours avec la technique d'un personnage intermédiaire qui permet l'interaction avec le sujet — se penche sur la mémoire de cheïkh Raymond, oncle d'Enrico Macias, assassiné le 22 juin 1961, et dont le chant avait bercé les jeunes années de Hamid… Enfin à Oran, c'est un jeune metteur en scène de théâtre de 30 ans, Kheireddine, qui part sur les traces d'une mémoire, celle qui, en 1962, vit le massacre d'européens. Pourtant à Sidi el Houari, quartier pauvre de la Marine, « Espagnols » et « Arabes » vivaient en symbiose. La séquence finale des retrouvailles entre le personnage de « Tchitchi », danseur émérite des années de co-existence, avec ses amis hommes et femmes, tous dépositaires de culture espagnole, est un grand moment de cinéma, de mise en scène et d'émotion. Comment le public algérien recevra-t-il cette leçon d'histoire et de mémoire par l'image ? La réponse à cette question dira si le peuple algérien, à la suite de certains historiens, est à même de recevoir des vérités étouffées, des témoignages longtemps tus et surtout, totalement occultés par le cinéma officiel et les manuels scolaires. Merci donc à Jean-Pierre Lledo de nous rappeler que nous sommes constitués de mémoires multiples et d'identités plurielles.


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