Cet expert italien qui a passé son enfance en Libye a particulièrement à cœur la conservation du patrimoine des pays du Maghreb. Ghardaïa, il l'a visitée pour la première fois en 1972, lorsqu'elle était encore un tout petit centre urbain entouré d'une marée de palmeraies. Invité à prendre part au séminaire commémorant le 25e anniversaire de la classification de Ghardaïa comme patrimoine mondial, le président de l'Institut méditerranéen dont le siège est à Rome a accepté d'y retourner, constatant de visu que le projet européen pour la valorisation des systèmes culturels territoriaux, Delta, a été bien mené par l'OPVM. Mais Amato ne cache pas sa crainte de voir le développement urbanistique ensevelir la palmeraie locale. Vous êtes revenu à Ghardaïa que vous connaissez bien. Pensez-vous qu'on en fait assez pour préserver ses sites naturels et historiques ? Ghardaïa représente, sans nul doute, l'un des sites de la Méditerranée doté de tous les critères qui lui permettent de perpétuer son authenticité à travers le temps et de maintenir cette caractéristique qui fait de la vallée du M'zab un patrimoine inestimable, surtout sur la base de la nouvelle approche des Nations unies qui consiste en une constante valorisation du site. Pas seulement par rapport à la conservation et à la restauration des monuments mais, au contraire, par une approche qui préconise la valorisation totale du territoire. Ghardaïa, de ce point de vue, répond aussi bien par ses ressources que par l'effort de ses hommes à cette exigence. Le projet européen pour le sud de la Méditerranée, Delta, lancé en 2002, a-t-il été d'un apport concret dans la conservation du patrimoine de Ghardaïa ? Plus que pour la conservation du site, qui ne doit jamais être vue comme une opération figée, le projet Delta visait à une valorisation intégrée, donc à travers une approche globale au territoire. Ce qui m'a fait énormément plaisir, ça a été de constater que toute une série d'orientations et d'actions qui avaient été élaborées et prévues dans le plan territorial de valorisation conçu dans le cadre du plan du projet Delta commence à être réalisée dans ce partenariat, qui voulait impliquer les autorités centrales des pays concernés, des institutions de tutelle de la conservation et de la valorisation, celles chargées du développement économique, mais aussi des acteurs économiques et sociaux, ainsi que les collectivités locales et les Ong (organisations non gouvernementales). Ce partenariat local qu'on a construit avec beaucoup de patience, à travers le projet Delta, commence aujourd'hui à porter ses fruits, grâce à l'action de l'OPVM qui a toujours été un partenaire attentif et très déterminé dans la concrétisation de cette idée de valoriser le patrimoine, liée à la professionnalité et à la volonté de sauvegarder l'intérêt commun. Mais si les résultats sont là, des obstacles ont toutefois surgi, comme l'avancée galopante de l'urbanisation... Oui, ces aspects négatifs ne sont pas dus à des carences dans l'initiative des autorités locales ou des institutions locales comme l'OPVM mais à une question de caractère plus général, et au devenir de la conservation des ressources du patrimoine, qui ne dépend pas d'actions spécifiques de restauration, mais du développement économique et urbanistique qui survient sur le territoire. Les palmeraies en sont les premières victimes... C'est cela, quand j'ai vu pour la première fois Ghardaïa, le panorama qui s'offrait à nos yeux, alors qu'on était encore en voiture, sur la colline, était merveilleux, une immense palmeraie à perte de vue. Aujourd'hui, son intégrité est très compromise. De graves altérations et dommages ont été portés par la construction de nouveaux quartiers et infrastructures dans les palmeraies, patrimoine précieux de Ghardaïa. C'est comme si quelqu'un détruisait de ses propres mains ses ressources. Il faut imposer des normes qui obligent au respect du paysage et du patrimoine, comme en Europe. Sauvegarder le territoire c'est un peu ce qu'on a essayé de faire avec le projet Delta. Le développement urbanistique doit pouvoir être inséré de manière harmonieuse dans un cadre qui doit être défini et imposant des règles à tous. Ce n'est pas une problématique qu'on rencontre seulement à Ghardaïa, et pour une série de motifs, notamment à cause de l'étroit lien entre patrimoine et identité, Ghardaïa est peut-être l'un des endroits où cette destruction et cette dégradation des ressources et du paysage est la plus lente à survenir. Le Maghreb regorge de cas où les oasis les plus importantes et les plus belles sont en voie de destruction. Le cas le plus spectaculaire est celui de Marrakech où la palmeraie a été presque totalement détruite par un développement urbanistique effréné, provoqué surtout par la demande du tourisme en hôtels. Même les réseaux traditionnels de systèmes hydriques souterrains, les foggara, sont totalement détruits. Qu'en est-il des systèmes de captage des eaux de ruissellement de Ghardaïa, dont les habitants sont partagés entre partisans de leur réhabilitation et ceux qui veulent les reléguer dans un musée ? Ces systèmes hydrauliques traditionnels sont une invention géniale qu'il faut réhabiliter comme l'une des ressources du patrimoine. Ghardaïa a su les conserver durant des siècles, il serait dommage de les réduire à des objets de musée. Pour ma part, je suis toujours pour la réutilisation du patrimoine et non pour sa conservation dans un musée, qui est l'étape précédant la destruction de cet héritage. Au contraire, une restauration de ces puits qui en conserve la structure physique et la fonctionnalité conservera ces systèmes hydriques qui font partie du patrimoine et contribuent à maintenir un lien indissociable entre patrimoine et identité du paysage.