Odile Tobner ne joue pas avec les mots. De la colère, du scepticisme, du militantisme, de l'engagement, elle en est imprégnée. Dans son essai Du racisme français, quatre siècles de négrophobie, elle s'attaque non seulement à certains hommes politiques et philosophes français, ceux qui ont les faveurs des médias, en décryptant leurs discours mais aussi au socle raciste. Au jeu qui a dit que « L'équipe de France est aujourd'hui black, black, black, ce qui provoque des ricanements dans toute l'Europe » ; « Notre problème, ce ne sont pas les étrangers ; c'est qu'il y a overdose. C'est peut-être vrai qu'il n'y a pas plus d'étrangers qu'avant la guerre, mais ce ne sont pas les mêmes et ça fait une différence. Il est certain que d'avoir des Espagnols, des Polonais et des Portugais travaillant chez nous, ça pose moins de problèmes que d'avoir des musulmans et des Noirs » ; « Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez rentré dans l'histoire. Le pays africain qui, depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles » ; parlant des Africains, « leurs yeux ronds, leurs nez épatés, leurs lèvres toujours grosses, leurs oreilles différemment figurées, la laine de leur tête, la mesure-même de leur intelligence, mettent entre eux et les autres espèces d'hommes des différences prodigieuses », on risque de se perdre. On ne peut qu'en convenir avec Odile Tobner : il y a une certaine continuité dans le racisme français à l'égard des Noirs (et pas seulement). « Les récentes saillies négrophobes d'Hélène Carrère d'Encause, Alain Finkielkraut ou Nicolas Sarkozy ne sont pas de malheureux dérapages mais la continuité désolante de préjugés nourris depuis quatre siècles », observe l'ancienne compagne de Mongo Beti. Déconstruire le discours raciste La militante et intellectuelle africaine déconstruit avec patience le discours raciste, n'hésitant pas à en appeler à Frantz Fanon, autre figure sur laquelle s'acharnent les nouveaux conservateurs. « Mme Carrère d'Encausse (qui a expliqué les émeutes de novembre 2005 par la polygamie, ndlr) est russe d'origine mais elle peut être française puisqu'elle est blanche. C'est pareil pour Finkielkraut. Ils tiennent des positions purement racistes, les Noirs sont des gens inassimilables pour eux. Le terme inassimilable est utilisé, on parle aussi d'émeutes ethniques et non pas sociales. La chasse aux Noirs immigrés c'est la politique de Sarkozy. C'est très clair pour le conseiller du président Sarkozy, Guaïno qui dit qu'avec l'immigration, la mondialisation, la désintégration du travail, il y a un problème identitaire. » Cette France qui refuse de se voir dans le miroir « Mais il ne dit pas aujourd'hui qu'on a un président d'origine hongroise, il y a un problème identitaire. Qui vise-t-il ? Pas le Hongrois ni ceux qui lui ressemblent. Derrière cela il y bien une problématique raciste », analyse-t-elle dans une interview. Le combat s'annonce difficile. Les personnes auxquelles elle s'attaque squattent les médias publics et privés. Leurs discours sont relayés in extenso et sans aucun recul. A titre d'exemple, l'essayiste Pascal Bruckner (apôtre de la guerre contre l'Irak), dont elle a ridiculisé le travail avec beaucoup de finesse et d'ironie, a eu droit à tous les plateaux télé. Il a pu défendre et surtout vendre son livre avec un plan média frénétique. Odile Tobner, quant à elle, a été accueillie dans une indifférence quasi générale de la part des grands médias. Elle dérange, se moque des chiens de garde, déconstruit cette tradition du racisme, car il faut bien parler de tradition. Cette France refuse de se voir dans ce miroir. Elle préfère ceux qui la traitent encore du pays des Lumières et des droits de l'homme. Elle ne veut pas entendre parler des crimes racistes, de Noirs, d'Arabes. D'ailleurs, pourquoi un travail sur le racisme contre les Noirs ? « Pour l'islamophobie, le travail a déjà été fait. Mon histoire personnelle me pousse à parler du racisme frappant les Noirs. Sur l'antisémitisme, il n'y a pas de vide sur le sujet, le terrain est même très occupé alors que la négrophobie est sous-dite, c'est ça le racisme fondamental en France. C'est ce racisme, le moins décrit, le moins analysé, le moins connu, le plus proscrit avec des interdits d'expression, on parle de dolorisme, ce racisme est lui-même stigmatisé par des quantités de mots, des pures machines de guerre verbales voulant empêcher de le dire », explique-t-elle. Elle se moque de la colonisation positive. Il est vraiment temps de décoloniser les esprits. En urgence. Pour le jeu, c'est Alain Finkielkraut, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et Voltaire (si si, le grand Voltaire).