Nous aimons parler, c'est entendu, et ce n'est sans doute pas pour rien que le mot tchatche est né en Algérie, par déformation du mot espagnol châchara (babillage, caquetage et par extension, bavardage), qui en a tout l'air et il y a de nombreuses chances qu'il vienne de l'arabe. Peut-être de charchara, couler en cascade tel un débit de paroles, sinon de chourchour, le pinson, cet oiseau volubile ? Et, toujours dans d'hypothétiques errances étymologiques, on peut se demander si tchatche et châchara auraient à voir avec chat, bavardage en anglais, qui désigne maintenant les échanges sur Internet ? Mis à part Mustapha Benfodil qui bavarde seul dans son second roman, aujourd'hui, c'est généralement à plusieurs que l'on discute par ordinateurs interposés. Ce sport a même supplanté le football, ce qui n'est pas peu dire. A l'indépendance, les Algériens s'étaient déjà jetés sur le téléphone avant même d'épuiser les joies de la correspondance et, ces dernières années, ils ont rattrapé en un clin de temps leur retard en téléphonie mobile. Accros de l'oralité, ils ont investi avec gourmandise les nouvelles technologies de communication. Aussi, il n'est pas étrange que le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (au sigle barbare de CNRPAH) ait organisé cette semaine un colloque international sur « les oralités, vocalités et scripturalités ». La matière à étudier est énorme, sans doute passionnante aussi. Les traditions orales, les expressions vocales, l'écriture : quel merveilleux trio quand personne ne manque à l'appel ! Ce n'est hélas pas le cas chez nous avec la terrible défection de l'écriture. Il n'est donc pas fortuit que la fin du colloque précité ait coïncidé avec la journée arabe de l'alphabétisation, venue nous rappeler qu'un Algérien sur quatre est privé du droit d'accès au monde ! Les déclarations des divers acteurs, à leur tête Mme Aïcha Barki, présidente de l'Association algérienne pour l'alphabétisation, nous ont laissé comprendre que trop d'obstacles s'opposaient à une sérieuse avancée de la stratégie nationale retenue. Ce serait une catastrophe quand on sait que cette même stratégie se distingue déjà par un objectif bien limité : réduire de moitié le nombre d'analphabètes en 2016. De moitié seulement, ce qui signifie qu'à cet « horizon », terme poétique chéri par nos bureaucrates, encore un Algérien sur huit ne saura pas lire et écrire ! Si l'on ajoute tous ceux qui, déjà, savent si mal lire et écrire, ou à peine, comment parler d'éducation et de culture et comment envisager un développement humain honorable ? Après avoir tchatché, chaté et déchanté, le monde nous dira : et bien dansez maintenant ! Le chachacha, pourquoi pas ?