La tempête soulevée par l'opération d'évacuation de plus de 600 familles du quartier Bardo n'est pas près de s'apaiser. Hier et hormis les locataires qui ont plié bagage en direction des nouveaux appartements de la nouvelle ville Ali Mendjeli, plusieurs familles se sont barricadées dans leurs maisons, refusant d'obtempérer à l'ordre d'évacuation, bravant même le fait que l'électricité et le gaz leur ont été coupés. Les cheveux continuent de tomber dans la soupe d'un plan qu'on a voulu monumental avec l'objectif noble de modernisation de la ville de Constantine. Si les milliers de riverains ne s'opposent pas fondamentalement à l'idée de quitter les lieux, prenant en considération les bienfaits du plan, en revanche, le timing et la méthode empruntée par l'administration locale ont vite fait d'installer des animosités entre les deux camps, d'autant que la transparence n'était guère au rendez-vous. Profitant de la précipitation et du déficit de communication qui ont entaché la démarche des responsables de la wilaya, des agents subalternes ont réussi à piéger l'opération en provoquant la révolte de la population et une situation qui frise la catastrophe. Ces gens sans scrupules ont mis l'opération à leur profit en créant un véritable « business » autour du quota de logements imparti à cet effet. Ainsi, des morts ont bénéficié d'appartements neufs et des personnes étrangères au quartier se sont retrouvées sur la liste des bénéficiaires, devant l'indignation des habitants qui se sont rendu compte des petites combines des trafiquants. Cela ne pouvait qu'ajouter à la frénésie qui s'est emparée du quartier et l'écœurement des véritables occupants. Il s'agit bien entendu d'indus bénéficiaires surgis de nulle part à la faveur de passe-droits moyennant une « tchippa » généreuse, affirment mordicus des délégués que nous avons rencontrés. La loi sur l'orientation de la ville piétinée ? Jamais une opération de relogement n'a connu un aussi large trafic, même si le phénomène a toujours existé. Il se trouve qu'une vive opposition s'est manifestée cette fois de la part des habitants du Bardo qui réagissent en s'organisant dans le cadre d'un conglomérat d'associations pour dénoncer ce trafic bien organisé. Une délégation des familles s'est d'ailleurs réunie à ce sujet avec le wali qui a promis de rayer des listes tout indu bénéficiaire dénoncé. Dans le tas, les délégués ont critiqué aussi le timing de l'opération qui a sacrifié les jeunes scolarisés, notamment les candidats au bac, forcés de changer d'établissement au beau milieu de l'année. Mais le véritable enjeu réside, disent ces délégués, dans toute la démarche qui n'a pas associé les concernés, en violation des articles 2 et 17 de la loi portant orientation sur la ville qui réclament justement la concertation et l'implication de la société civile dans toute décision liée à leur cadre d'habitation. Chose qui, selon eux, est à l'origine de l'anarchie qui entoure l'opération et le risque de dérapage qui s'ensuit. Trois griefs sont reprochés aux responsables. D'abord, l'affichage de la liste des bénéficiaires qui n'a pas été fait comme l'exige la règle ; ensuite, ces gens s'interrogent sur quels critères se sont basées les commissions qui ont fabriqué ces listes ; et enfin, sur l'existence ou pas de la commission de recours qui, en tout cas, n'est domiciliée nulle part, selon eux. Un quartier à la Dubaï City L'opération en question est inscrite dans le cadre du plan gigantesque de mise à niveau de la ville de Constantine, étape qui prélude à un programme de modernisation, baptisé PPMMC (programme du Président pour la modernisation de la métropole de Constantine). Le site du Bardo, situé au cœur de la ville, est établi sur plusieurs dizaines d'hectares et renferme 1284 constructions. Hormis la partie supérieure, qui donne sur l'avenue Rahmani Achour, et composée de bâti de nature coloniale, tout le reste du tissu est fait de constructions illicites, érigées sur la berge ouest de oued Rhumel. Les urbanistes ont décomposé ce site en quatre îlots inégaux qui subiront les opérations en procédant de bas en haut. Cette première étape touchera donc les habitants de Aïn Asker I. Selon une source autorisée, cet îlot renferme 209 constructions. Celles bâties avec un permis de construction ne dépassent pas les 12%, alors que les commerces qui activent avec un registre autorisé sont limités à 20. La récupération du site, situé de surcroît au cœur de la ville, permettra le lancement de projets qu'on veut à la Dubaï City. Notre interlocuteur note en plus que l'action en cours n'est pas uniquement une opération de débidonvillisation. Il s'agit d'une action multiforme qui permettra de nouveaux aménagements, et les moyens sont là pour lancer les étapes suivantes. On ne lésine pas sur les moyens, en effet, pour faire avancer ce chantier. Le wali a souligné à chaque occasion que personne ne sera lésé. Les locataires seront donc recasés dans des logements sociaux alors que les propriétaires seront tous indemnisés rubis sur l'ongle. Mais eux aussi seront d'abord placés dans des logements sociaux pour donner par la suite l'occasion aux experts d'évaluer les constructions ainsi que les fonds de commerce. Des prix, alignés sur ceux du marché, seront proposés aux propriétaires sur la base des rapports d'expertise en privilégiant dès le départ le règlement à l'amiable sur le droit d'expropriation dans le cadre de l'utilité publique. D'autres solutions non moins intéressantes ont été proposées aux concernés, notamment l'achat auprès de l'OPGI de villas sur le site de Zouaghi et certains ont déjà accepté cette variante. C'est là le côté jardin d'un plan qui semble avoir mal négocié son démarrage, mais qui promet tout de même de belles perspectives pour Constantine.