L'Algérie est superbement organisée pour demeurer sous-développée » et les Algériens « se dirigent inexorablement vers une trappe de misère permanente ». Le constat que les experts font de l'économie nationale est sans appel. Bien que les différents indicateurs macroéconomiques militent en faveur d'une bonne santé économique, il n'en demeure pas moins que la réalité est, selon eux, tellement inquiétante qu'il y a « nécessité de changer tout le système ». Invités hier à Alger à une conférence-débat organisée par la Confédération des cadres de la finance et de la comptabilité (CCFC), Ahmed Benbitour et Abdelhak Lamiri, respectivement ancien chef de gouvernement et docteur en sciences de gestion, estiment que le plus grand problème qui se pose actuellement réside dans la mauvaise gestion des affaires publiques. « Il n'y a pas de pays sous-développé. Il y a des pays mal gérés », soutien M. Lamiri. Pour M. Benbitour, cette idée peut être interprétée autrement, à savoir qu'il faut toujours faire la différence entre « régner sur un pays et gérer un pays ». Tout en estimant que les Algériens sont presque revenus à la situation d'avant la guerre de Libération nationale, avec toutes les misères qui y régnaient, l'ancien chef de gouvernement pense que malgré toute l'évolution que l'économie nationale a connue, les éléments sur lesquels se construit une véritable croissance ne sont pas, à ce jour, réunis. Il citera, entres autres éléments, l'industrialisation, les institutions de qualité, le développement durable, les libertés et l'équité. Se référant à des statistiques officielles, M. Benbitour a indiqué qu'au plan social, une forte austérité est imposée à la population alors que l'argent et les richesses réalisées sont thésaurisés. Selon lui, la part de la consommation des ménages dans le PIB était en 2006 de 31,6%, et de 43,8% en 2002. Durant les années difficiles 1992-1995, cet indicateur reflétant l'austérité était de 54,6% et dans les années 1980 de 48,6%. La moyenne des pays à revenu intermédiaire dans laquelle se classe l'Algérie est de 61%, précise le conférencier. Ce dernier constate de ce fait qu'il y a « une nette transformation de la structure de distribution des richesses au détriment des ménages », et d'ajouter qu'il s'agit là d'un gaspillage de ressources puisque la richesse thésaurisée n'est ni investie ni consommée. Quant aux IDE, M. Benbitour estime que si le montant de 2,8 milliards de dollars représentant le flux net enregistré durant les deux années 2005/2006 paraît important, les rapatriements des bénéfices des seules sociétés associées à Sonatrach s'est situé durant la même période à 10,03 milliards de dollars. Face à ces résultats, l'ancien chef de gouvernement estime que « le changement de régime devient impératif ». « Changer un homme ne signifie pas changer un système, mais garder un homme c'est forcément garder le même système », a-t-il conclu. Abordant la question salariale, M. Lamiri ne manquera pas d'indiquer que « l'Algérie n'a pas de stratégie claire en la matière » et que les statistiques montrent que le niveau de vie de 1985 à 1995 a baissé de 95%. Selon lui, le SMIG a été certes rattrapé ces dernières années, mais un entassement vers le bas des salaires est à constater. Le conférencier relèvera par la même occasion une baisse de la productivité de l'ordre de 1 à 1,5% par an, sans pour autant imputer cette baisse aux seuls travailleurs. « Le manque de management, l'absence de stratégie et les mauvais choix économiques adoptés sont, entre autres, à l'origine de cette baisse de productivité », soutient le même expert. Pour lui, « les statistiques sur la croissance ne doivent pas nous fasciner, dans la mesure où il s'agit d'une croissance extensive et non réelle ». Se voulant plus précis, M. Lamiri dira que cette croissance est tirée par les hydrocarbures et que les performances réalisées sont dues à l'argent du pétrole qui est injecté dans l'économie. C'est la raison qui fait que « notre économie est fondamentalement faible » et le demeurera tant que « les ressources ne sont pas canalisées pour développer la richesse et encourager la productivité », a-t-il ajouté. C'est pourquoi, le conférencier a appelé à orienter les ressources vers la création des PME, tout en instaurant un meilleur management des institutions et une modernisation institutionnelle. Il ne manquera pas également de suggérer la création d'une institution de stratégie regroupant les experts en la matière et proposera, à sa tête, le nom de l'éminent spécialiste algérien, Taïb Hafsi, convoité actuellement par le gouvernement chinois.