Assises à même le trottoir, leurs cartables par terre, des filles plongent dans des discussions interminables, ponctuées par des éclats de rire. A côté d'elles, un groupe de jeunes, sacs en bandoulière, s'amuse en racontant des bobards au moment où des centaines d'autres s'agitent dans tous les sens en tentant de s'organiser. Ils veulent poursuivre leur marche de protestation contre la surcharge de leur programme. « Nous avons fait une centaine de mètres, de la sortie principale de notre lycée Amara Rachid, avant que nous soyons bloqués ici par le dispositif de sécurité que vous voyez. Nous sommes là depuis 8h. Ils refusent de nous laisser continuer », explique un meneur de ce mouvement de contestation qui dit être en terminale sciences. Aux lycéens de Amara Rachid, à Ben Aknoun, sur les hauteurs d'Alger, se sont joints d'autres élèves des autres lycées limitrophes comme El Mokrani I et II, tous animés par la même volonté de faire entendre leur voix de la manière la plus forte en sortant dans la rue crier leur colère au vu et au su de tout le monde. « Je n'arrive plus à suivre ce programme. C'est infernal. Cours après cours, j'ai absolument rien pu assimiler. J'ai pensé plusieurs fois à décrocher, à abandonner. Mais mes parents insistent pour que je m'accroche. Là, j'en peux plus. Je suis vraiment à sec. J'ai tout donné, en vain. Personne ne pourra tenir un tel rythme. Même les vendredis, on fait des cours supplémentaires. Et même avec ça, dans certaines matières, nous venons à peine de terminer la moitié du programme », ajoutera Amine, 19 ans, qui dit être au bord de l'éclatement. D'autres jeunes se joignent à Amine pour nous dire en chœur : « Nous voulons que le ministère allège le programme. » Sihem, 17 ans, parle du programme scientifique qui comprend une dizaine de matières. « Je me demande pourquoi on nous impose une matière comme les sciences islamiques, alors que nous avons déjà un long programme à étudier », lâche-t-elle. Pour cette lycéenne et d'autres, le nouveau programme leur laisse peu de temps pour approfondir leurs connaissances dans les matières essentielles, comme les sciences, la physique et les mathématiques. « Je n'ai plus de temps libre pour réviser mes cours. J'arrive à la maison éreinté », se plaint Akli qui fait comptabilité. Une autre lycéenne, Ania, conteste le recours aux cours supplémentaires. « Nous ne pouvons pas assimiler autant de choses en même temps. Il y a un minimum pédagogique à respecter. Nous ne sommes pas des robots pour travailler sans arrêt. Nous avons besoin d'un peu de temps pour souffler et pouvoir ensuite poursuivre le reste du programme », clame-t-il avant d'enchaîner : « Je ne veux pas passer le bac dans ces conditions. » Comme elle, d'autres protestataires affirment ne rien comprendre au « nouveau système ». « Nous basculons dans le nouveau système sans que nous soyons préparés en conséquence. Cela nous a complètement chamboulés », dénote Salim, 19 ans, venu du lycée Mokrani II avant d'ajouter : « Le nouveau programme nous a fait perdre la boussole. » Salim dit ne pas croire aux déclarations du ministre de l'Education, Boubekeur Benbouzid, selon lesquelles les examens du baccalauréat vont se limiter aux cours effectués. « Leurs enfants étudient à l'étranger. Comment voulez-vous les croire ! », argue-t-il. D'autres lycéens demandent à ce qu'il y ait une deuxième session du baccalauréat. « Cela nous permettra d'avoir au moins deux chances », explique Nahla, 18 ans, qui est en classe scientifique au lycée Amara Rachid. Sortant de leurs lycées pour se faire entendre dans la rue, ces lycéens se trouvent face à un cordon impressionnant de la police antiémeute. « Ne craignez rien. Nous ne sommes que des lycéens protestant contre la surcharge de leur programme. Nous sommes des pacifistes. Nous voulons que tout se passe dans le calme », lance l'un des protestataires à l'endroit des policiers qui agitent leurs matraques, prêts à réprimer la moindre tentative de défoncer le cordon de sécurité. « Restez là où vous êtes. Nous avons des ordres de ne pas vous laisser franchir cette ligne », lui répond un policier en talkie-walkie. « Vous voyez, ils nous empêchent d'avancer. Ils ont peur de nous laisser nous exprimer », lâche un autre. Les lycéens ont peur d'être tabassés. Ils s'arrêtent donc devant le portail principal de la cité universitaire Taleb Abderrahmane, à une centaine de mètres de la rue principale de la ville de Ben Aknoun. Aux environs de 12h, ils demandent à ce qu'ils les laissent aller manger. Requête acceptée. Les lycéens filent ainsi en petits groupes, se donnant rendez-vous sur la rue principale. Au bout d'une quinzaine de minutes, tous les protestataires se retrouvent sur la rue principale, encerclés par des centaines de policiers antiémeute. Après l'échec de leurs tentatives de forcer le cordon de sécurité, ils se « dispersent » dans le calme, contents tout de même d'avoir tenté le coup.