Pillé et dégradé, le site est complètement abandonné par les pouvoirs publics qui n'assurent qu'un gardiennage insuffisant. La ville antique de Tiklat se trouve à cheval entre les communes limitrophes de Fenaïa et El Kseur, à une vingtaine de kilomètres de Béjaïa. Cette ville, que les Romains désignaient sous le nom de Tubusuctu ou Tubusuptu, renferme encore une quantité impressionnante de trésors archéologiques de très grande valeur. D'un côté, la partie visible de ce patrimoine historique inestimable subit les agressions naturelles du temps et celles, hélas, plus criminelles des hommes. De l'autre, la partie invisible, celle qui dort sous les tonnes de gravats, n'intéresse apparemment que les amateurs de fouilles sauvages à la recherche de la pièce rare qui ira décorer leur salon ou qui leur rapportera de quoi s'acheter une breloque. Ces trésors archéologiques, fort heureusement, ne peuvent pas toujours décorer une bibliothèque ou être dissimulés sous le manteau. Il s'agit de gigantesques citernes apparentes et souterraines, de bâtiments encore à moitié debout, d'amphores, de mosaïques, de nécropoles, de mobilier funéraire, de stèles, d'inscriptions latines ou libyques de diverses tailles et de tout ce qu'on peut imaginer dormant sous les décombres d'une ville qui s'étend sur une superficie de 25 hectares. D'autant plus que le site, qui a été occupé par différentes dynasties régnantes comme les Hammadites, les Almohades et les Zianides, a très peu été fouillé. Seul le système d'adduction de Tiklat a attiré l'attention des scientifiques. Le reste, tout le reste, est un vaste chantier en friche. Mais faute d'entretien, de valorisation et de réhabilitation, le site ne cesse de se dégrader, victime de fouilles clandestines et sauvages et de pillages répétés. Il est de notoriété publique que beaucoup d'amateurs de pièces archéologiques se sont constitué des collections personnelles qui prennent quelquefois la destination de musées étrangers. L'histoire de Tiklat remonte à l'an 27 avant J.-C., lorsque Octave, connu également sous le nom d'Auguste, fonda sur ce site une colonie pour les vétérans de la 7e légion auxquels il octroya des terres pour services rendus. Située sur la rive droite de la Soummam, sur des terres extrêmement fertiles, la colonie contrôlait cet axe stratégique qu'était le couloir de la Soummam et l'axe économique qui venait des greniers de blé de Sitifis (Sétif) vers le port de Saldae (Béjaïa). Elle était également connue pour sa production d'amphores que l'on retrouve disséminées dans tout le pourtour méditerranéen. Chacune de ses nombreuses fabriques d'amphores avaient sa propre estampille. Tiklat exportait dans tout le bassin méditerranéen un produit que les scientifiques pensent être soit du vin, soit de l'huile d'olive, ou peut-être les deux à la fois. Au IVe siècle, Tiklat était un chef-lieu de district militaire qui avait joué un rôle déterminant pour contrer la révolte du fameux chef berbère Firmus. Tout au long des siècles, Tiklat jouera un rôle militaire déterminant, selon les soubresauts de l'histoire locale et nationale. Au XIIe siècle, le géographe et chroniqueur El Idrissi dira que toutes les structures de la « forteresse de Tiklat » étaient encore utilisées. La visite du site Tikalt a depuis toujours été auréolée d'une légende. La légende parle d'une ville souterraine dont les boyaux seraient peuplés, entre autres monstres biscornus, de moustiques géants. Un trésor y serait encore enfoui. La légende du trésor caché a d'ailleurs agi comme un aimant attirant toutes sortes d'aventuriers du vendredi et de chercheurs d'or plus ou moins illuminés. En compagnie de Djamel Moussaoui, TS en conservation et restauration et natif des lieux, nous avons eu la possibilité de visiter les lieux en commençant par les fameuses citernes d'El Arioua dont les murs épais ressemblent à ceux d'une forteresse. Signe de l'abandon dans lequel elles se trouvent depuis longtemps, de grands oliviers ont poussé au milieu de ces ruines. Pis encore, une partie du site est devenue une décharge d'ordures pour les quelques habitations implantées non loin de là. Il faut traverser la RN 26 et contourner quelque peu la colline boisée en contrebas pour accéder aux vestiges de la ville de Tiklat. Une partie de son mur d'enceinte est d'ailleurs encore visible. Non loin du rucher communal, Djamel nous fait visiter trois citernes souterraines extrêmement bien conservées. Des cadavres de bouteilles gisant au fond des caves indiquent qu'elles servent encore à accueillir les adeptes locaux de Bacchus. A l'intérieur du rucher qu'un simple grillage protège, notre guide nous montre des mosaïques, une pierre portant des inscriptions latines et une urne funéraire en pierre au milieu des herbes hautes. Un peu plus loin, un bassin a gardé sa mosaïque intacte. Pour la soustraire au regard et à la convoitise des pillards et des vandales, Djamel l'a entièrement recouverte de terre. Des ruses de Sioux, voilà à quoi en sont réduits les gardiens du site pour le protéger. Dernièrement, c'est un de ses gardiens qui a signalé qu'une équipe d'employés de l'ETRHB était en train de faire des massacres avec ses excavatrices. La partie sud de la colline qui surplombe la majeure partie de la ville antique de Tiklat est devenue un maquis presque impénétrable. La forêt d'oléastres géants qui a pris possession des lieux donne quand même à voir des vestiges partout où l'œil se pose. Beaucoup de pierres de taille jonchent le sol recouvert de buissons épineux. Le plus beau vestige de Tiklat, cependant, c'est en bas de la colline qu'on le découvre. Un grand ensemble architectural dont les murs dépassent les dix mètres de hauteur. Là aussi les arbres et les buissons ont pris possession des lieux au point de rendre notre avancée dans ces décombres vieux de deux millénaires difficile et même dangereuse. Il s'agit vraisemblablement des thermes de la ville. Un peu plus loin, sur les berges de la Soummam, Djamel nous fait visiter les ruines également bien conservées de ce qui était probablement un embarcadère servant pour la navigation fluviale. Un système d'adduction d'eau exceptionnel Tiklat est surtout connue pour son remarquable système d'adduction d'eau. Le docteur Hocine Djermoune qui a étudié la question pense qu'il était plus important que celui de Saldae, rendu célèbre par sa correction apportée par le librator (ingénieur militaire) Nonius Datus. Deux aqueducs longs, l'un de 7 km, l'autre de 11 km, déversaient de l'eau captée dans des points différents dans des citernes gigantesques. Ce sont les fameuses citernes d'El Arioua que l'on peut aujourd'hui admirer sur la colline qui surplombe la RN 26 à la sortie d'El Kseur, en venant de Béjaïa. Le premier aqueduc était long de 7 km et captait sur la rive droite de la Soummam des sources situées dans la région d'Il Mathen. L'eau se déversait dans de gigantesques citernes de 15 000 m3. D'une longueur totale de 11 km, l'autre aqueduc, celui de la rive gauche de la Soummam, captait principalement l'eau d'une source située à Semaoun. Il enjambait le cours de la Soummam sur un pont dont il ne reste aujourd'hui plus rien et les scientifiques sont toujours incapables de dire dans quelles citernes se déversait l'eau. Vannes, regards, canalisations et captages, de nombreux ouvrages hydrauliques ont été identifiés sur le dispositif des deux aqueducs. L'autre grande question qui taraude l'esprit des chercheurs qui se sont penchés sur la question a trait à l'usage de cette eau. Que faisait-on de ces énormes quantités d'eau dans une ville située sur le cours d'un fleuve, à l'époque navigable ? La question reste posée. Potentiel touristique et économique énorme Pour Jean Pierre Laporte, qui avait donné en janvier 2007 une conférence publique à El Kseur et qui connaît très bien le site pour l'avoir longuement étudié, il suffit d'un petit nettoyage pour que les citernes d'El Arioua soient accessibles au grand public tellement l'ouvrage est bien conservé. Lounis Abdelouahab, P/APC d'El Kseur, n'en pense pas moins. « Nous allons réhabiliter les sites de Tiklat et de Timzizdekt, en collaboration, bien sûr, avec la direction de la culture et d'autres partenaires », dit-il. Farid Bali, P/APC de Fenaïa, commune qui abrite une partie du site, est dans les mêmes dispositions d'esprit. Pour le professeur Djamil Aïssani, qui dirige Gehimab, une association qui a entrepris depuis des années plusieurs grandes et remarquables actions pour réhabiliter les lieux et les personnages historiques de la région, il faut rendre le site accessible. Selon lui, il existe actuellement un projet de musée sur les lieux mêmes du site avec divers aménagements et des structures. « C'est véritablement dramatique qu'un site de cette importance ne soit pas accessible au public, d'autant plus qu'il est situé sur un grand axe routier, en l'occurrence la RN 26 », dit-il. Khoudir Bourihane, peintre photographe qui a réalisé, entre autres, la maquette de l'aqueduc de Toudja, est subjugué par le site : « La cerise sur le gâteau est que ce site est situé dans une très belle région. D'ici on peut découvrir les plaines d'Amizour et d'El Kseur et toutes les montagnes qui les entourent », dit-il admiratif. Depuis quelques mois, l'outil juridique permettant d'entrevoir la possibilité d'un changement dans la gestion des sites culturels classés existe. La valorisation et la rentabilisation des sites culturels et archéologiques est devenue possible depuis que les agences nationales d'archéologie sont devenues des EPIC dénommées Office de gestion et d'exploitation des biens culturels classés. Une commission d'enquête sur les lieux Suite à la publication par El Watan, dans son édition du 7 janvier 2008, d'un article faisant état de dégradations subies par le site de Tiklat lors des travaux du transfert des eaux du barrage de Tichy Haf, une commission d'enquête composée d'archéologues du ministère de la Culture a été dépêchée sur les lieux, sur ordre de la ministre elle-même. La visite des lieux s'est faite lundi 14 janvier 2008. Un constat établi par Djamel Moussaoui, TS en conservation rattaché à l'OGEBC, fait état de la mise au jour de mobilier archéologique dont des structures en technique de construction (Opus incerta regula), de la céramique africaine, du marbre et du granit. Une amphore géante a été détruite et une dizaine de murs ont été rasés.