Ses énormes ficus séculaires ont de la peine à cacher la désolation qui s'est emparée du jardin public municipal depuis bientôt une décennie. Accoudé à la masure centrale que domine un impressionnant minaret, le jardin public, dont les premières esquisses ont été imaginées par un architecte fort inspiré, pouvait facilement rivaliser avec les espaces verts de n'importe quelle métropole. Limité au sud par la voie ferrée et au nord par le siège de la mairie, le jardin Emir Abdelkader renfermait une véritable collection d'arbres tropicaux et méditerranéens. Ses trois impressionnants ficus qui rappellent aisément leurs fameux baobabs, des lointains cousins africains, ont des troncs dont le diamètre dépasse les 3 mètres. Fortement installés sur une large excroissance racinaire, ils dominent l'espace par une envergure qui fera pâlir de jalousie le non moins impressionnant pin d'Amérique, dont les longs cônes sont si finement ciselés qu'ils ressemblent à une sculpture. Malheureusement, cet arbre longiligne sera bientôt orphelin, car son unique compagnon d'infortune est en train de rendre l'âme. Un redoutable parasite, la chenille processionnaire aura transformé son feuillage en de véritables nids à reproduction. Puisant sans compter une sève abondante que les profondes racines vont chercher dans les tréfonds de la terre, ce parasite finira par assécher l'arbre de sa substance nourricière. Il y plus d'une dizaine d'années, le pin d'Alep qui s'intercale avec aisance entre ces deux essences d'Amérique, se laissera amputer par une méchante tempête qui aura fortement amoindri ce majestueux conifères en le mutilant sans ménagement d'une branche charpentière. Au lieu de couper la branche à la base, l'opérateur ne fera qu'élaguer les bouquets qui étaient à sa portée. Non loin de là, un févier ancestral aura définitivement courbé l'échine. Fortement aidé dans sa détresse par l'insouciance du jardinier dont l'eau d'irrigation aura définitivement quitté les lieux, faisant perdre toute leur luxuriance à ces arbres. Désolation Même les tenaces bigaradiers, pourtant habitués aux frasques des longs étiages, finiront par imiter dans leur détresse collective les autres espèces ornementales. Arbres et arbustes auront cédé de la place au profit du mimosa acacia. Cet arbuste qui est un aphidé des zones arides est en train de profiter de la moindre défaillance des ses prédécesseurs pour s'imposer en maître des lieux. Petit à petit, le jardin public perd de son atour pour s'enfoncer davantage dans la désolation. La nouvelle équipe en charge de la mairie trouvera-t-elle le temps pour redonner un peu d'espoir, voire de splendeur à cet espace vert si nécessaire au ressourcement des citadins de tout âge qui continuent, malgré le dénuement, à venir y retrouver un peu de quiétude. La question est d'une cruelle actualité. Car ce jardin qui faisait la fierté des habitants de toute la région semble irrémédiablement abandonné par les pouvoirs publics. Pour corser davantage son délabrement, de mauvais génies auront décidé de l'aménagement d'un parc pour automobiles. Si bien que les véhicules de quelques privilégiés s'autorisent à traverser le jardin de part en part, faisant abstraction des gaz d'échappements qui empestent l'atmosphère, rendant l'air totalement irrespirable pour les inconditionnels qui continuent de venir s'affaler sur des bancs, à la recherche d'un peu de quiétude. Pour la verdure et les plantes ornementales, il y a bien longtemps que les œillets d'Inde, les soucis, les iris et les Zénia ont définitivement déserté les lieux.