La place des Martyrs semble plongée dans un calme inaccoutumé. Le vacarme assourdissant et le tohu-bohu général donnent l'impression de s'être volatilisés. L'imposante armada des camelots brille par son absence. La circulation automobile est plus fluide dans un endroit qui retrouve ses esprits. L'étonnante fébrilité qui s'installe tôt le matin et ne s'estompe qu'aux premières lueurs du crépuscule a disparu. On ne perçoit plus ce rythme endiablé qui exaspère les riverains, les piétons et les commerçants. Cette place forte du négoce informel a défrayé la chronique, fait couler beaucoup d'encre et de salive, suscité un courroux intense. Cris d'orfraie et gorges chaudes à l'égard d'un grand nombre de dérives insupportables, d'une gêne insoutenable et d'excroissances incontrôlables. L'espace squatté à l'excès, hyperencombré se transforme en casse-tête. Cette « brutale » disparition des marchands occasionnels augure-t-elle une prise en charge d'un problème délicat par la force publique ? Assiste-t-on à une espèce de chant du cygne d'une activité débridée, revêtant les oripeaux d'un réel fait accompli ? Toujours est-il que le remède, longtemps espéré, demeure la seule issue pour en finir avec une situation infiniment pénalisante. Il faut rendre à César ce qui appartient à César. Pour l'heure, la place des Martyrs s'engouffre progressivement dans une espèce d'indolance, de somnolence que personne ne conteste. L'effervescence s'est assoupie, apaisée. Longtemps soumise à un commerce trépidant, elle aspire à une quiétude qui lui a fait défaut. Mais il ne faut jurer de rien. Les faits nous renseigneront sur cette subtile accalmie. On verra alors s'il s'agit d'un feu de paille ou au contraire de la fin d'un engrenage peu ordinaire.