Des lecteurs vont certainement se poser la question sur le lien qui pourrait exister entre la révision de la Constitution et les possibilités d'accession de l'Algérie au niveau d'une économie émergente. Le lien viendra des conséquences que cette révision impliquera. En effet, telle que cette révision est proposée et soutenue, elle a pour but de maintenir, pour la prochaine décennie, la configuration politique actuelle, au mépris du principe fondamental de la démocratie : l'alternance dans la gestion du pays. Or le bilan sur le plan économique est modeste voire médiocre, à l'exception de deux données positives : la réduction de la dette, les investissements dans les infrastructures de base, bien que la gestion de grands projets, la maîtrise des coûts et leur maintenance préoccupent les experts de la Banque mondiale (1). Les indicateurs utilisés pour évaluer, mesurer et apprécier les performances d'une économie sont inquiétants et classent l'Algérie parmi les pays les moins performants. Pour plus de clarté, prenons quelques exemples : en maintenant dans notre esprit un objectif primordial, l'économie algérienne doit atteindre une autonomie suffisante, d'une part, par rapport aux recettes émanant des hydrocarbures et, d'autre part, par rapport aux importations des produits de première nécessité, tels que les céréales, le lait, les médicaments, au risque d'être enfermée dans une situation totalement dépendante de l'extérieur. Le degré d'indépendance de l'économie par rapport à ces données est un critère qui, à lui seul, peut qualifier une politique économique de positive et réussie ou de totalement négative. Dans ce domaine, il est très facile de démontrer que cet objectif est loin d'être atteint ; au contraire, la dépendance s'accentue et s'aggrave. • En matière de croissance, l'Algérie enregistre un taux de croissance compris entre 3 et 5% alors que la moyenne mondiale est de 5% ; les pays producteurs de pétrole, ayant en gros une structure économique proche de celle de l'Algérie, réalisent un taux de croissance moyen de 7%. Cet indicateur explique la faiblesse de l'économie algérienne et montre que la politique et les approches suivies ne sont pas pertinentes, non performantes et font subir au pays des dépenses importantes pour des résultats médiocres. • En matière de lutte contre le chômage, l'Algérie enregistre un taux de chômage officiel situé entre 15 et 12%, soit 7 points de plus que le taux moyen atteint par les pays MENA (pays du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord) (2). La plupart de ces pays ont réduit le taux de chômage à moins de 7%. Le chômage touche plus particulièrement les diplômés universitaires Dans un domaine aussi sensible que l'emploi de jeunes, l'Algérie utilise plusieurs approches aussi coûteuses qu'inefficaces les unes que les autres et pourraient à moyen terme être nuisibles aux jeunes et à l'économie. Les jeunes en situation de pré-emploi ne sont pas encadrés par des formateurs et ne sont pas utilisés à plein temps, donnant ainsi de mauvaises habitudes aux jeunes. En fait, c'est la politique « de travailler peu pour gagner un minimum vital ». Le marché de l'emploi est peu flexible et caractérisé par une sous- qualification et une perte de la notion du travail « bien fait » : le professionnalisme. Ce qui classe le marché du travail au 120e rang mondial(3) . • En matière du climat des affaires, l'Algérie occupe la 125e place(4), les procédures de création d'entreprises sont lourdes et lentes, l'Algérie se classe dans ce domaine à la 131e place, l'économie est peu attractive, les institutions notamment en matière de fiscalité, des finances, de justice et de liberté commerciale sont considérées non pas comme un facteur de stimulation, mais comme des handicaps à l'initiative, la contrefaçon et la prédominance du marché parallèle relèguent l'Algérie au rang des pays qui accusent un retard considérable dans la bonne gouvernance. A titre d'exemple, en matière de fiscalité, l'Algérie est classée au l57e rang parmi les pays ayant le régime fiscale des plus complexes. • Le manque d'attractivité de l'économie algérienne s'explique aussi par les carences et le manque de performance des moyens logistiques, notamment dans l'activité portuaire, ce qui agit négativement sur les coûts et les délais ; deux paramètres fondamentaux dans le développement du commerce international. En matière de performance logistique, selon une étude de la Banque mondiale, l'Algérie occupe la 140e place sur 150 pays étudiés. • La faiblesse de la productivité est reconnue par tous, des entreprises chinoises refusent la main-d'œuvre algérienne pour des raisons de manque de qualification et de rendement. Les systèmes d'organisation désuets sont eux -mêmes des facteurs favorisant la sous-productivité, la promotion sans aucun mérite. En termes de taux de productivité, l'Algérie est au 85e rang sur 93 pays. • La corruption vient compliquer la situation et pollue l'environnement de l'entreprise algérienne et du développement des affaires. L'Algérie est considérée comme un pays à forte corruption, elle occupe une place peu reluisante. La Transparency international la classe à la 99e place. • En matière de développement humain, notamment dans le domaine de la formation et de l'enseignement supérieur, la qualité est médiocre et se répercute sur les performances de l'économie, sur la qualité du management des entreprises. Le fait que la meilleur université algérienne est classée à la 92e place par rapport aux universités du monde musulman (et non pas par rapport aux universités occidentales) est assez éloquent et montre aisément la faillite du système actuel. • Dans la construction de logements, le secteur accuse un déficit en entreprises solides et compétentes et subit une sous-qualification dramatique qui se solde par une productivité lamentable. Vu le nombre de demandes en logements, ce secteur mérite une attention particulière. La définition de critères objectifs et justes pour l'obtention d'un logement est nécessaire. Mais cette politique doit être accompagnée d'un renforcement de la crédibilité de l'administration grâce à la transparence, à l'ouverture et la participation de la société civile dans le traitement des dossiers. Les contestations deviennent monnaie courante et parfois, elles mettent en danger la sécurité des citoyens et des biens. • En matière de production agricole et des importations de produits alimentaires, la dépendance est grave et dangereuse pour l'avenir du pays. Le professeur Hamid Amara(6) démontre que sur trois calories consommées par un Algérien, deux sont importées ; 80% des besoins en céréales sont importés. Les fonds destinés à l'importation des produits de consommation connaissent chaque année une évolution plus rapide que l'évolution des exportations hors hydrocarbures. La dépendance alimentaire vis-à-vis des produits pharmaceutiques s'accentue, les difficultés à s'approvisionner en blé et en lait ces derniers mois confirment l'incapacité de la gouvernance actuelle à réduire cette dépendance et, au contraire, elle l'aggrave au détriment de la production nationale. Les problèmes rencontrés par les entreprises privées, notamment les producteurs laitiers, les minoteries, les producteurs de tomates industrielles, les industries pharmaceutiques attestent que la politique actuelle n'est pas consciente des risques qu'elle fait courir au pays et à son avenir. • En matière de liberté de la presse et du renforcement de la démocratie, nous n'avons pas constaté, durant cette décennie, une amélioration qui mérite d'être signalée. • Sur le plan politique, nous constatons que le renforcement et l'approfondissement du processus démocratique n'ont pas été une priorité ni un objectif réel et voulu ; au contraire des décisions, des comportements, des actions ont confirmé la démarche qui vise à centraliser le pouvoir, à éviter les débats de fonds sur la situation du pays et sur les objectifs de développement réunissant un consensus. Les instances élues n'ont jamais été aussi discréditées et peu crédibles. • Sur le plan institutionnel, la qualité des institutions, facteur considéré comme primordial pour un développement durable et une croissance saine et continue, n'a pas connu d'amélioration. En effet, les projets sont toujours aussi mal gérés qu'avant, les délais et les coûts non respectés, les citoyens mécontents de leur administration et sont aussi maltraités qu'avant. Des experts des institutions internationales et des experts algériens ne cessent de tirer la sonnette d'alarme et démontrent que la politique actuelle ne peut mettre l'économie algérienne sur les rails qui peuvent la conduire à un degré supérieur de développement, faisant d'elle une économie émergente. L'approche théorique et pratique de l'équipe actuelle est une approche d'un pays socialiste des années 1970. Les facteurs qui ont permis à certains pays de passer de la situation de sous-développement au statut de pays émergents sont ceux-là mêmes où la politique économique algérienne accuse un déficit et enregistre des retards considérables. La révision de la constitution aggravera les contre-performances de l'économie algérienne et maintiendra l'économie algérienne dans le cercle vicieux du sous-développement. Les enjeux de la décennie prochaine Les enjeux pour la décennie prochaine consistent à faire de l'Algérie un pays émergent, les moyens existent mais les institutions capables de soutenir cet objectif et de le concrétiser ne sont pas présentes. L'avenir d'un pays repose sur des facteurs déterminants, tels que la qualité des institutions, la consolidations de la démocratie, l'état de l'économie notamment le degré de son indépendance vis-à-vis de l'extérieur, son efficacité et sa productivité, la justice sociale basée sur une répartition juste des richesses. Les citoyens doivent choisir les dirigeants qui sont conscients que l'avenir du pays passe par une politique qui intègre les principes et les critères d'une bonne gouvernance. La bonne gouvernance, avec l'ensemble de ses conditions : une société démocratique, la transparence, la responsabilité, l'évaluation objective, le contrôle et l'alternance. La qualité des institutions en dépend. Dans ce climat de « bonne gouvernance », il devient possible d'arrêter des politiques fiables, soutenues par un véritable consensus et qui auront toutes les chances d'être bien appliquées et réussies notamment : 1. Une politique économique et industrielle claire, continue et qui est le fruit d'un accord entre tous les acteurs économiques. Des choix stratégiques doivent être opérés en fonction des atouts et des faiblesses de l'économie nationale, mais aussi en tenant compte des menaces de la concurrence internationale. 2. Une politique de réorganisation de l'Etat pour faire du secteur public un outil efficace et non un fardeaux qui consomme des fonds sans assumer ses missions ou les assume d'une manière désastreuse et où le citoyen, l'entreprise et l'environnement subissent des préjudices importants et permanents. 3. Un système de formation performant qui encourage la qualité et qui s'adapte aux évolutions du marché, des techniques et des technologies. 4. Une souplesse de la réglementation accompagnée d'une décentralisation effective et efficace pour libérer les initiatives. Les dirigeants qui peuvent transformer la participation des citoyens en outil de développement auront toutes les chances de mettre le pays sur la trajectoire de l'émergence. Références bibliographiques : 1. El Watan du 20 novembre 2007 : Rapport sur la revue des dépenses publiques (Banque mondiale). 2. Rapport publié par le FMI « Pourquoi le chômage en Algérie est plus élevé que dans les pays MENA ?... » septembre 2007. 3. Article du professeur A. Bouzidi : L'économie algérienne vue par le forum économique de Davos, Le Soir d'Algérie du 14 novembre 2007. 4. Doing Business (Banque mondiale/SFI), septembre 2007. 5. Voir les débats d'El Watan :« Aux sources des contre-performances de l'économie algérienne »25 mai 2006 et « Aux sources du paradoxe algérien » A. Benbitour El Watan du 18 novembre 2007. 6. Article du professeur H. Amara : « Le droit des peuples de se nourrir eux- mêmes », El Watan du 3 avril 2007. L'auteur est DESS économie internationale