L'affaire liée à l'importation du whisky frelaté sera jugée le 1er décembre au tribunal correctionnel de Sidi M'hamed, à Alger, a-t-on appris de source proche du parquet. Programmée pour le 15 septembre dernier, l'affaire avait, à titre de rappel, été renvoyée en raison de l'absence de l'importateur Abdelaziz L. de Chéraga. Cette affaire va faire tache d'huile du fait de sa relation avec le scandale Khalifa puisqu'elle illustre les pratiques frauduleuses de cette banque privée par le biais de laquelle 5 millions d'euros, montant de la transaction, ont été transférés vers un compte privé domicilié à Monaco. Selon des sources judiciaires, l'opération d'importation a été réalisée sous un prête-nom natif de Médéa, grâce, semble-t-il, à la complicité du responsable (actuellement en prison) de l'agence El Khalifa Bank de Chéraga, à partir de laquelle de faux bons de caisse anonymes lui ont été délivrés. Ces bons ont été par la suite déposés au niveau des agences El Khalifa Bank de Bouzaréah, de Koléa et de Blida dans le but de procéder au transfert par swift d'importantes sommes d'argent. Le liquidateur de Khalifa avait, dans une déclaration récente à la radio, affirmé qu'« il y avait un aspect d'organisation complexe qu'il faut agencer afin que nous puissions arriver à débusquer les grossièretés de ces bons de caisses, car il y a des soupçons et des indices sur l'existence de faux bons de caisse anonymes délivrés par Khalifa Bank... ». Il avait annoncé avoir recensé quelque 4600 bons de caisse anonymes, d'une valeur de près de 8 milliards de dinars, et 6950 bons de caisse nominatifs d'une valeur de 9,9 milliards de dinars qui seraient toujours en circulation sur le marché et qui devraient être récupérés avant le 16 décembre prochain. « Nous avons des doutes sur ces faux bons de caisse anonymes et nous savons qu'ils font l'objet de spéculation par leurs détenteurs qui les vendent aux clients débiteurs d'El Khalifa Bank... » a précisé le liquidateur. Certains clients débiteurs de Khalifa ont pris le risque de se présenter au liquidateur pour apurer leurs dettes avec ces vrais-faux bons de caisse qu'ils ont achetés sur le marché parallèle à moins de 30% et parfois 40% de leur valeur réelle. L'enquête ouverte sur le mouvement de ces vrais-faux bons de caisse est en train de lever le voile sur un autre scandale dont les auteurs auraient, entre 2000 et 2003, dissimulé et classé les nombreuses requêtes des victimes de ces pratiques mafieuses. Durant cette période assez courte, des personnes ont réussi à ériger des fortunes colossales qui se chiffrent en centaines de millions de dinars sans avoir eu à investir un seul dinar. C'est le cas d'un ressortissant français Regis L, qui aurait créé, selon des sources proches de l'enquête, des sociétés écran à Marseille et à Sète d'où il établissait des factures pour l'exportation de containers vers les ports d'Alger, de Mostaganem, d'Oran et de Béjaïa en contrepartie de commissions versées dans un compte personnel après les transferts de devises par les agences d'El Khalifa Bank. L'importateur algérien n'aura donc qu'à récupérer les montants en devise en France. « La doublette » La marchandise est, dans la majorité des cas, abandonnée sur les quais des ports. Elle ne servait qu'à justifier les transferts de devises. Autre exemple, celui d'une victime de cette escroquerie dont le compte est domicilié à l'agence de Khalifa Bank de Chéraga. Celle-ci a découvert que deux transferts et une transaction commerciale d'un montant de 5 073 622,40 DA ont été réalisés à partir de son compte en date des 23 novembre et 6 décembre 1999. Des opérations appelées dans le jargon commercial la « doublette », parce qu'elles sont effectuées avec un seul « D10 » (document douanier) et sans laisser de traces grâce à la complicité de certains agents dans la banque privée. Cette victime a réussi, grâce à sa persévérance, à bloquer les ventes d'une partie des biens de Abdelaziz L., importateur des containers de whisky frelaté. Selon des documents exhibés par cette victime, le blocage concerne le cession d'un terrain de 1300 m2 situé à Staouéli, d'un autre de 520 m2 situé à Chéraga (qui lui avait été vendu par Djamel G., un des trois hauts cadres du groupe Khalifa ayant été arrêtés à l'aéroport d'Alger) et aussi d'un logement à Bouchaoui. D'autres biens immobiliers avaient été achetés par Abdelaziz L. au nom de son épouse à Dely Ibrahim, et à Aïn Allah, dans le but d'échapper à la mise sous scellés de ces derniers. D'après nos interlocuteurs, « de fortes pressions ont été exercées par les enquêteurs depuis l'éclatement de cette affaire pour que les barons impliqués réussissent à bénéficier de l'immunité et à requalifier le dossier (de la criminelle, il passe à la correctionnelle, ndlr) du scandale de l'importation du whisky frelaté dans le seul but d'éviter que les implications de cette escroquerie et ses relations avec l'affaire Khalifa... ». Mais de nombreuses victimes se sont présentées ces derniers mois aux services de sécurité pour dénoncer ces malversations. Abdelaziz L. et son complice Laïd B., qui devront comparaître le 1er décembre devant le tribunal de Sidi M'hamed dans le cadre de l'affaire du whisky, sont en outre cités dans plusieurs procès au niveau de nombreuses juridictions. Les modifications opérées récemment au niveau de la justice ont carrément changé la donne et le dossier a pris une autre tournure à laquelle les deux prévenus ne s'attendaient pas. S'ils se présentent à l'audience, ils devront expliquer au tribunal comment ils ont pu cumuler en 3 ans seulement une fortune qui s'élève à plus d'une centaine de milliards de centimes et avec quelles complicités ils ont réussi à se tirer des affaires pour lesquelles ils avaient été cités par les tribunaux de Koléa et de Boufarik.