« La malédiction des ressources réside dans le fait que la disponibilité des richesses naturelles encourage la corruption et l'aventurisme militaire ou le militarisme », relève le conférencier. Le gouvernement algérien a-t-il commis une erreur de choix stratégique en optant pour le placement de ses réserves de change dans des banques étrangères ? Giacomo Luciani, économiste émérite et professeur à l'université John S. Hopkins (Boulogne), est de ceux qui critiquent une telle politique de gestion de ces ressources qui proviennent, dans le cas de l'Algérie, de la rente pétrolière. L'invité des Débats d'El Watan où a été abordée la lancinante question « comment sortir de la dépendance pétrolière ? » estime que les pays qui adoptent une telle approche sont atteints de ce qui est communément appelé « la maladie hollandaise ». « C'est un mécanisme économique simple : quand une économie enregistre une amélioration de ses revenus, de ses exportations, elle aura une rente conséquente. L'Etat décide de ne pas dépenser (cette rente) dans l'économie interne », explique-t-il. Or la demande de financement dans des projets dans divers secteurs est considérable. Dans ce contexte, « c'est un non-sens de cumuler la rente dans les banques étrangères », note encore le conférencier qui, comme tout économiste qui se respecte, ne supporte pas de voir de l'argent stagner. L'Etat, relève-t-il, devrait redistribuer cette rente. Il existe, selon lui, plusieurs mécanismes pour mettre en œuvre une telle opération qui sera bénéfique pour la croissance économique du pays. Ces revenus devraient être investis entre autres dans la création d'emplois, la régulation du foncier à travers des crédits, des subventions et le développement agricole. D'une manière générale, il préconise l'utilisation de la rente pétrolière dans l'accompagnement du secteur privé. M. Luciani s'est montré sceptique quant à l'émergence de fonds souverains. Il s'est montré tout aussi pessimiste concernant la réussite « des fonds d'investissements, des générations futures ou de stabilisation de l'économie ». « Cela peut être une partie de la solution mais ça ne constitue pas une solution durable », a-t-il argumenté. Le problème avec ce genre de fonds, c'est qu'ils sont alimentés à partir d'une ressource dont les revenus dépendent d'un marché hautement volatil. L'exemple des pays du Golfe Les pays pétroliers devraient donc profiter d'une conjoncture favorable où les recettes engendrées par l'exploitation de richesses naturelles sont abondantes pour les rentabiliser en les injectant dans des créneaux à grande valeur ajoutée mais surtout dont le rendement est régulier. Il n'existe pas encore la panacée qui permet la concrétisation de ce cheminement, mais M. Luciani considère la stratégie des pays du Golfe comme étant assez réaliste. « L'expérience des pays du Golfe est utile. Il ne faut pas la prendre forcément comme modèle, mais il y a des aspects intéressants tels que la culture des benchmarks (repères), c'est-à-dire chercher les meilleures pratiques qui se font ailleurs », a-t-il indiqué tout en soulignant que ces pays se renseignent sans complexe sur les expériences des autres pour solutionner les dysfonctionnements auxquels ils font face. Le développement des pays du Golfe est désormais le fruit de plusieurs secteurs et non le fait de leurs richesses naturelles. Tourisme, services, immobilier, bâtiment, foncier, télécommunications, banques, assurances, transports et logistique sont autant de domaines qui tirent la croissance vers le haut. Et de citer l'exemple de diversification économique de l'Arabie Saoudite. « Le pétrole assure 30% des revenus de l'Arabie Saoudite ces dernières années contre 60% durant les années 1970 », fera remarquer M. Luciani. Il attribue ce résultat à une politique offensive de prise de décision. En somme, pour sortir de la dépendance pétrolière, il faut une bonne dose de courage politique et ne pas sombrer dans l'immobilisme infertile. « Il faut prendre des décisions, même si elles ne sont pas forcément bonnes », recommande l'expert. Les pays du Golfe ont su parallèlement créer une complémentarité avec les économies asiatiques émergentes, comme l'Inde et la Chine, dont la demande en produits énergétiques va crescendo, relève M. Luciani. Le débat qui a suivi la communication de M.Luciani était tout aussi enrichissant. Des intervenants du public n'ont pas manqué de souligner que la démographie de l'Algérie, de l'Iran ou du Venezuela qui font face au paradoxe de pays riches en ressources naturelles mais dont les économies sont en panne n'est pas comparable à celle des pays du Golfe dont la population est de quelques milliers d'âmes pour des réserves pétrolières énormes. Un autre intervenant a mis en avant la nature même des régimes politiques de ces pays pour expliquer leur incapacité à faire des richesses naturelles un atout de développement durable. D'autres questionneurs ont abondé dans le même sens. « Comment sortir des régimes politiques marchands de pétrole qui pourchassent les élites techniques et scientifiques », s'interroge un universitaire pour qui « la malédiction n'est pas le fait des matières premières mais des anti-démocratiques des dirigeants politiques qu'il faut exorciser, soigner ou écarter du pouvoir ». Un point de vue que ne réfute pas M. Luciani. « La malédiction des ressources réside dans le fait que la disponibilité des richesses naturelles encourage la corruption et l'aventurisme militaire ou le militarisme », a-t-il renchéri. Il estime néanmoins que l'arrêt total de l'exploitation de ces richesses tel que suggéré par l'un des intervenants du public n'est pas une bonne idée même si, a-t-il signalé, la tendance dans le monde va vers la baisse de production.