A son domicile où il nous reçoit comme à l'accoutumée de manière courtoise et polie, le cheikh, le regard las et l'ouïe approximative, se montre plutôt attentif tout au long des discussions animées. Vieux sage, amoureux du débat et du dialogue, il a une manière à lui de faire avancer ses idées. L'un des grands combats de sa vie aura été de livrer des messages. Exégète, théologien, historien philosophe, grammairien, il n'est pas de matière ou domaine de recherches ayant trait à l'Islam qui soit étranger à cet homme qui vient de souffler ses 100 bougies. Les messages, il a commencé à les livrer à travers les ondes de Radio Alger où il animait, dans les années 1940, l'émission « L'avis de la religion », un face- à-face entre l'animateur et l'auditeur, ou encore « Sandouk el Afkar » où il partageait l'antenne avec des érudits comme les cheikhs Bouguettaya, Lakehal, Bouchouchi, Mouloud Taïab. Jeune fkih à la radio, Abderrahmane était aussi un hazzab « qui psalmodiait le Saint Coran dans les grandes mosquées d'Alger. Il est devenu par la suite, un personnage familier depuis que la télévision l'a mis sur le devant de la scène, lors des célébrations des maouassims qu'il officiait souvent en maître de cérémonie avec d'autres oulémas. Né à Alger le 8 février 1908, Abderrahmane est issu d'une famille de commerçants et d'agriculteurs originaires de Blida. L'un de ses aïeux, Saïd Bou Sabaâ Hadjat, y est enterré : Son mausolée est visité. Selon la légende, sa famille descend de la lignée du 3e calife Othmane Ibnou Affane. Quel regard porte ce centenaire bon pied bon œil sur le siècle mouvementé qu'il a traversé ? « L'histoire est un éternel recommencement. J'ai vécu des moments heureux avec l'acquisition du savoir et des connaissances auprès des érudits, et d'autres périodes moins agréables avec les guerres, les calamités et les événements tragiques mais aussi des mutations. Aujourd'hui le monde tend de plus en plus vers le matérialisme et l'individualisme. » Le cheïkh voue respect et considération au professeur Bencheneb qui lui a prodigué le savoir. « Une montagne de connaissances, un monument qui maîtrisait tout. C'était un personnage d'une vaste culture polyglotte, jaloux de sa personnalité algérienne et qui le montrait ostensiblement en arborant son élégante tenue traditionnelle, même à Paris où il était appelé à se déplacer. » Le cheïkh parlera longuement de son maître ainsi que des oulémas comme Bensmaïa et El Hafnaoui qui lui tracèrent le chemin. Son enseignement le cheïkh l'a puisé à la mosquée d'Alger, à la mosquée Sidi Ramdane ou au mausolée Sidi Abderahmane Athaâlibi, pour l'affiner au Nadi Ettaraki d'où est parti le mouvement réformiste si cher aux oulémas. « Ce centre culturel, créé dans les années 1920, a pris son essor dès l'intronisation du cheikh El Okbi qui y donnait hebdomadairement des conférences. Ce lien de culture s'est davantage développé grâce à sa proximité avec la population et encore plus lorsque l'Association des oulémas musulmans est née en 1931. » L'époque foisonnante de culture s'y prêtait avec une profusion de productions intellectuelles et des hommes de culture de grande envergure comme Réda Houhou, les frères Foudala Bachtarzi…« Le cheïkh aimait tellement les livres qu'il se privait de nourriture pour en acheter » témoigne une de ses vieilles connaissances. Des livres qui avaient fait son bonheur à la Medersa Achabiba d'Alger, où il a fait ses classes aux côtés de Mohamed Laïd Al Khalifa, l'émir des poètes algériens, cheïkh Baâziz d'Azzefoun ou encore le poète Djelloul El Badaoui. Le cheikh, féru d'histoire, a écrit une œuvre monumentale consacrée à l'Algérie qui reste une référence en la matière. Cette œuvre en est à sa 8e réédition. A son actif, d'autres livres consacrés au pèlerinage aux Lieux Saints, au trois villes millénaires (Alger, Médéa, Miliana) et des pièces de théâtre. Mélomane, le cheïkh a aussi écrit sur la musique andalouse « qui s'est développée dans les milieux culturels et cultuels. Le muphti Mohamed Bougandoura a grandement contribué, bénévolement, à son essor. » Le cheïkh n'a pas manqué de manifester sa gratitude au ministère de la Culture et à l'ONDA, pour avoir pensé à lui en ces moments exceptionnels, où il a fêté sans tambour ni trompette, son centième anniversaire !