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le cheikh est de retour
Admirable concert d'El Hachemi Guerrouabi
Publié dans El Watan le 06 - 07 - 2005

Mardi soir. Alger tente de se débarrasser de la chaleur d'une journée ordinaire. Difficile combat pour un juillet coriace. Ce soir, un événement : le retour d'El Hachemi Guerrouabi. De l'autre côté de la ville, Houari Dauphin fera, lui, sa fête. Image d'une Algérie qui veut être plurielle dans ses mélodies.
La file indienne devant l'entrée du Théatre de verdure annonce une présence massive des fans du châabi. Elle annonce la couleur d'une nuit aux traits colorés d'une Alger qui défend mal une blancheur sans éclat. L'accueil est courtois. Le Théâtre de verdure n'a pas beaucoup changé. Autant que le regard d'El Aurassi en haut. Au club El Anka, ou la cafétéria, on offre de l'eau minérale, du café, du thé et du jus. Le lieu n'offre aucun signe de vie. Dommage. Le public commence à s'installer sur des gradins poussiéreux. On n'a pas encore pensé à couvrir les tribunes de coussins matelassés pour éviter les malaises que vous connaissez. C'est peut-être un luxe. Les premières familles qui arrivent se sont dotées de coussinets et d'étoffes en laine. Sur scène, l'orchestre met au point les dernières retouches pour parfaire la balance. La sono, on le sait, est un problème national. La scène est éclairée en bleu et blanc. Au fond, en demi-cercle, un noir incertain. Des gouttelettes d'eau tombent. Inquiétude furtive. Le ciel de juillet n'est pas sérieux. 20h45. Les gradins se remplissent à une allure étonnante. 21h10. Le Théâtre de verdure est plein comme un œuf. C'est une première dans l'histoire de cette structure. Plus de 4000 spectateurs. On s'entasse et on se serre même dans les allées et les escaliers. Le spectacle en vaut la peine. Les rumeurs algéroises avaient évoqué, des semaines durant, la maladie du maître du châabi. On vient donc voir El Hachemi Guerrouabi. Par compassion ? Peut-être. Par amour ? Sûrement. Par passion ? Certainement. La touchia en mode ghrib est lancée. C'est le silence. La nuit s'est installée dans Alger. Et les lueurs prennent des yeux. Tout le monde attend l'entrée sur scène de l'artiste. Patience. Amina Belouizdad, animatrice, ex-speakrine de télévision, que les jeunes de 20 ans ne connaissent pas, prend le micro, salue la présence de Lamine Bechichi, ministre à une certaine époque, puis le public et s'étale, en mots mi-douceureux mi-démagogiques, sur la personne du chanteur. Le public proteste. Amina Belouizdad n'évite pas de faire des éloges à Khalida Toumi, ministre de la Culture. Le public siffle. A pleins tubes. Même les filles s'y mettent. Imperturbable, la speakrine continue son cérémonial panégyrique. Elle parle tout bonnement des alif leyla oua leyla (les mille et une nuits) offertes par l'Etablissement Arts et Culture. Soudain l'explosion ! Vêtu d'un costume gris, chemise sans cravate, l'artiste s'avance à petits pas sur scène. A 67 ans, El Hachemi Guerrouabi est debout et dégage une bonne santé. Debout également, le public applaudit. Il lève le bras et salue les présents. « Rana h'na ! (nous sommes là », lance-t-il d'une voix imposante. « Vous êtes pour nous ; nous sommes pour vous », ajoute-t-il. Il entame, en mode mezmoum, In karabou ah !, qui chante l'approche et l'éloignement de l'être aimé. Il enchaîne avec Djraou ouyouni, Ach adani et Harq dhana mouhdjati. Les compagnons de route du cheikh sont là parmi l'orchestre : Khaled Sofiane, Omar Tafiani et Mahieddine Brahimi et les autres. Ils semblent s'adonner à cœur joie. Le vent s'invite. Il vient titiller le micro, faire tomber le bouquet de roses sur la table et jouer des tours avec le diwan du cheikh qui se lance. Des jeunes, pour des moments de hedi, dansent au pas du rituel algéro-viril, âssimi et houmiste ! Le peuple du chaâbi est aussi reconnaissable à cette gestuelle. C'est une danse qui a des codes. Avec Chafet ayni ya raoui, le célèbre mdih de Maghraoui, Hrouf zine fi kharq el aâda, Rimoun ramatni..., l'artiste possède le public. En bas, à quelques pas de la scène, on ramène une chaise à un vieil homme vêtu de blanc. Il paraît emporté par la rêverie du chant. Il ne fait pas attention à une dame en haïk (il en existe encore !) qui passe avec sa petite-fille drapée d'une jolie tenue en soie vert aquatique. Guerrouabi interpète cette fois-ci un « tube » du chaâbi : Harraz Aouicha d'El Hadj Ben Qoraïchi. Une histoire d'amour tourmenté, pimenté par les contorsions de ce diable de harraz (cerbère). Lorsque l'artiste s'arrête et lance Entekt ana ou koult lih sur un ton grave, le public arrose les lieux d'applaudissements. Les fans de Guerrouabi adorent cette manière qu'a le cheikh de reprendre les propos du sage de Ben Qoraïchi. Avec Nar djmar el hob chaâla (les feux de l'amour sont allumés » (cette chanson a été admirablement reprise par le jeune Mohamed Réda sur une rythmique moins conventionnelle), l'artiste apaise les sentimentaux et rassure les « bien-heureux ». 23h30. La nuit se fait plus douce. La pause. On sirote du thé et on commente le « tonus » du cheikh. Reprise. Le vent nocturne fait partie désormais de l'ambiance. Avec Ouach dani ou lach mchit, Guerrouabi évoque Alger, sa ville natale, El Mouradia et Belcourt, ses quartiers. Il parle de la qaâda à Sidi Fredj et implore Allah qu'El Bahdja, Alger, devienne plus belle. L'artiste continue avec une chanson à charge émotionnelle, Mili bat, qui rappelle el ghorba et ses douleurs. Il enchaîne avec Qoulou lenass (dites aux gens) de Mahboub Bati. Le public fait un peu de houl en exigeant telle chanson. L'artiste appelle les présents au calme. « Ce n'est pas le stade », dit-il avec courtoisie. Guerrouabi ne chantera ni pour l'USM Alger ni pour le CR Belcourt. Il interprète ensuite Had el hob el ghedar ou l'histoire d'une idylle instable, Narq fil kelb troudj (ton feu allume mon cœur), légendaire poésie de Mohamed Ben Slimane, et Sadouni bmkahel el djaâb (ils m'ont chassé). « Que l'on vienne en aide à l'amoureux qui, comme moi, est écharpé sans coup d'épée. » Passage mythique d'une autre qçida, celle du Marocain Embarek Essoussi : Youm el ejemaâ kherdjou erryam (les gazelles apparaissent le vendredi). Et puis la fin : Kelmtouha fi wissali ou la quête éperdue d'un cœur tendre, et l'incontournable Bqaou a'la khir. L'artiste dit, avec modestie, merci au public qui n'arrête pas d'applaudir. 1h. On sort en file indienne. Alger vient d'achever une belle soirée. Rare.

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