L'idée de Nicolas Sarkozy de « confier la mémoire » de chacun des enfants juifs de France victimes de la Shoah aux élèves de CM2 soulève de nombreuses interrogations parmi de nombreux enseignants, parents, psychologues, historiens qui expriment leur malaise. La classe politique est quant à elle divisée. La polémique et la controverse n'ont pas fini de s'installer. « Les enfants de CM2 devront connaître le nom et l'existence d'un enfant mort dans la Shoah. Rien n'est plus intime que le nom et le prénom d'une personne », a déclaré le président Sarkozy lors du dîner annuel du CRIF mercredi soir. « Rien n'est plus émouvant pour un enfant que l'histoire d'un enfant de son âge », a ajouté Nicolas Sarkozy. Pourquoi cette initiative aujourd'hui, sans concertation avec ceux qui sont concernés et qui ont un avis autorisé sur la question de par leur champ d'activité ? D'autant que la Shoah est déjà enseignée à l'école. N'est-ce pas trop lourd à porter pour un enfant de 11 ans ? se demandent notamment enseignants, psychologues et parents ? D'aucuns dénoncent une opération de marketing de la part du président Sarkozy au moment où il est en chute dans les sondages, alors que sa politique sur le pouvoir d'achat soulève une vague de mécontentement social. « Le passé est devenu un entrepôt de ressources politiques ou identitaires, où chacun puise à son gré ce qui peut servir ses intérêts immédiats. Il est inquiétant de voir qu'une fois de plus, le – mauvais – exemple est donné au plus haut niveau, que la "mémoire" et la défense de bons sentiments ne servent qu'à faire passer les ombres de la politique réelle », écrit l'historien Henry Rousso dans Libération. « Je trouve qu'il y a une morbidité exceptionnelle dans cette démarche », estime l'historienne Esther Benbassa (lire interview dans supplément Arts et Lettres de jeudi), interrogée par Le Parisien. La directrice d'études à l'Ecole pratique des Hautes Etudes, juive elle-même, ne voit pas pourquoi « infliger une telle émotion à des enfants d'aujourd'hui qui n'y sont pour rien dans la mort des petites victimes de la Shoah ». « A ne jamais sortir les juifs de cette seule identification aux victimes de la Shoah, on risque, au contraire, de créer des inimitiés chez les autres groupes. Je crains l'effet contraire, le risque du rejet au lieu de la pacification des relations. Oui, il faut enseigner la mémoire de la Shoah, mais comme toutes les mémoires : en parlant aussi des vivants et pas seulement des morts. Va-t-on aussi porter demain le nom d'un colonisé, d'un Arménien, d'un immigré ? », ajoute-t-elle. Si le premier secrétaire du PS, François Hollande, soutient l'initiative du président Sarkozy, en affirmant que « chaque fois qu'on peut faire transmettre les exigences du devoir de mémoire, il faut le faire ». L'ancien Premier ministre de droite, Dominique de Villepin, estime qu'« on ne peut pas imposer la mémoire ». Les syndicats enseignants dénoncent « l'injonction politique sans aucune concertation ». « Lettre de Guy Moquet, Semaine citoyenne ou du développement durable, prévention contre l'alcoolisme, sécurité routière… empilées sans hiérarchie, les enfants vont finir par ne plus faire la différence entre le gadget et le fondamental », avance le Snalc (classé à droite). Selon le ministre de l'Education nationale, la mesure préconisée par le président Sarkozy ne serait pas obligatoire. L'injonction présidentielle de faire parrainer un enfant juif tué par les nazis par un enfant de CM2 rappelle le fameux article 4 de la loi du 23 février 2005 imposant à l'école d'enseigner les aspects positifs de la colonisation. Le débat n'est pas épuisé : est-ce au président de la République, ou aux députés, soit aux politiques, de manière plus large, de dicter la manière dont doit être enseignée l'histoire ? Et si l'on se place dans la logique du chef de l'Etat français, l'école ne devrait-elle pas porter les autres mémoires de France, celles des victimes de l'esclavage, de la colonisation ? N'y a-t-il pas là aussi un devoir de mémoire ?