Dans un communiqué émanant de la chefferie du gouvernement, Abdelaziz Belkhadem accuse implicitement les fonctionnaires de faire un travail de sape à travers leur grève. Le gouvernement de Abdelaziz Belkhadem a fait une bien curieuse offre de « dialogue » aux douze syndicats de fonctionnaires qui s'apprêtent à paralyser dès aujourd'hui l'administration publique. « Vous faites dans l'agitation infondée », leur a-t-il signifié dans un communiqué diffusé hier, à la veille de leur mouvement de protestation. « Depuis quelque temps, une agitation infondée est constatée dans certains milieux de la Fonction publique, prenant en otage les usagers des services publics et, plus grave encore, nos enfants dont l'innocence est instrumentée à des fins peu glorieuses », lit-on en effet dans le communiqué émanant de la chefferie du gouvernement. La protesta des bataillons de fonctionnaires criant leur douleur depuis des lustres est ainsi réduite à une simple « agitation ». Le texte de Belkhadem suggère donc que le mouvement des fonctionnaires est au mieux inspiré, au pire manipulé. Voilà qui nous rappelle la tristement célèbre « main de l'étranger » brandie à chaque fois qu'un mouvement social ou politique dénonce la gabegie de ceux qui nous gouvernent. Il faut noter, à la charge de Belkhadem, qu'il est quasiment inconcevable de manipuler une douzaine de syndicats, qui plus sont issus du secteur public. Dans le cas contraire, on est tenté de constater que le gouvernement ne contrôle plus rien, pas même ses propres troupes… Avec cette énième agression verbale « officielle », le gouvernement, passé maître dans la culture de l'intrigue et de l'invective, confirme qu'il n'a pas changé de méthode : tantôt il offre la carotte, tantôt il sort son bâton. Après s'être déclaré prêt à piétiner ses propres lois en augmentant les salaires des fonctionnaires avant même la négociation des statuts particuliers pour s'acheter la paix sociale via « une translation transitoire des grades actuels dans la nouvelle grille des salaires », voilà qu'il lâche sa sentence en cataloguant ces parents pauvres de l'échelle sociale – au propre et au figuré – que sont les fonctionnaires dans la rubrique des « agitateurs » ! Quel drôle de cadeau que ce lui « offert » par Belkhadem à ces milliers d'enseignants, de médecins et d'agents de bureau pour service rendu ! N'étant pas capable d'écouter, ne serait-ce que par respect, ces honorables fonctionnaires aux salaires dérisoires, le gouvernement leur tire dessus, coupables à ses yeux d'avoir décliné sa « paix des braves ». Belkhadem croit avoir décelé les traces de la « manip » en précisant que « cette agitation intervient au moment où le gouvernement, sous la direction du président de la République, déploie d'intenses efforts pour moderniser l'Etat, faire émerger une administration impartiale et performante au service du citoyen (et) promouvoir la culture du service public fondée sur l'exigence d'intégrité, d'efficacité, d'efficience et de compétence ». En somme, un discours à la tonalité des années de glaciation qui veut que le chef a toujours raison et que tout ce qu'il entreprend est bien pour la collectivité… La carotte et le bâton Il y a sans doute un petit clin d'œil politique dans la lettre du chef du gouvernement. En convoquant la personne du président de la République qui « déploie d'intenses efforts pour moderniser l'Etat », Belkhadem accuse implicitement les fonctionnaires de faire un travail de sape à travers leur grève. C'est d'autant plus vrai que la télévision nationale a achevé de chloroformer ces téléspectateurs résiduels par les théâtraux appels à la « ouhda thalitha » (troisième mandat). Sur ce plan, force est d'admettre que le mouvement de nos fonctionnaires tombe comme un cheveu dans la soupe. Il suggère, il est vrai, que tout n'est pas rose ou que tout n'a pas été rose durant les deux mandats du président Bouteflika. C'est ce qui semble faire mal en haut lieu. Le mouvement des fonctionnaires – ils sont une armée d'un million cinq cents – et ceux de tous les autres secteurs de la vie nationale constituent un baromètre fiable pour jauger le moral des troupes. Il est également le meilleur référendum pour scanner l'état de la nation et ses vitales préoccupations. Belkhadem et son équipe ont donc raison de paniquer face à un mouvement citoyen à plus forte raison apolitique. Le gouvernement glose sur des concepts aussi stériles que « la bonne gouvernance », « la réhabilitation du fonctionnaire » ou encore « la refondation de la Fonction publique » pour amadouer ses troupes. Mais il n'est pas sûr que ce soit la bonne recette tant ces « barbarismes » ne sont pas « chapitrés » dans leurs fiches de paie et que les solutions de dernière minute ne sont pas fiables en ce sens qu'elles sont souvent imbriquées aux contingences politiques du moment. Ce n'est d'ailleurs pas par simple courtoisie que Belkhadem invite ceux qu'il affuble du vocable peu glorieux d'« agitateurs » de faire preuve d'« esprit constructif » et de « sérénité » que commande une telle situation. C'est clair, net et précis…