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Un entrepreneur raconte son kidnapping
« Mes quatre jours dans une casemate »
Publié dans El Watan le 11 - 03 - 2008

Madjid A., entrepreneur à Yakouren, 51 ans, dont 4 jours passés dans une casemate du maquis terroriste.
Enlevé mercredi 28 mars 2007, il sera libéré 4 jours plus tard, samedi 31 mars, contre une rançon d'un milliard de centimes. La solidarité villageoise a joué à fond pour obtenir sa libération. Le témoignage de Madjid (ses ravisseurs l'appelaient avec ferveur Abdelmadjid, le prénom porté sur ses papiers d'identité) est émaillé de séquences fortes. Il cite la vieille femme du village Begoub, dépenaillée, mais qui a tenu à participer à la quête d'argent, en sortant un billet de 200 DA, qui était pour elle un vrai budget. Une reconnaissance particulière pour cette vieille qui a contribué à libérer un entrepreneur qu'elle n'a jamais rencontré. Autre image forte dans le récit de l'ex-otage, ce gamin de 15 ou 16 ans, compagnon de casemate, un lecteur MP3 vissé à l'oreille, écoutant à longueur de journée prêches et versets. L'otage ignorait qu'il assistait à la fabrication d'un kamikaze. Le gamin se fera exploser quelques mois plus tard à Dellys, le 8 septembre 2007, tuant des dizaines de garde-côtes.
Une véritable industrie
Il y avait pourtant chez cet adolescent arraché à l'école autant de désir de liberté que l'entrepreneur kidnappé. C'était perceptible, au dénouement du rapt. Le maquis n'est-il fait que d'otages, tenus par des émirs versés dans la « levée » de fonds ? Ces derniers ont laissé à leurs acolytes l'illumination religieuse pour prendre la casquette d'experts-comptables. Ils mettent à jour leurs informations sur les actifs des entrepreneurs et le niveau de trésorerie des commerçants. Arrivé au maquis où il a été emmené encagoulé, Madjid sera interloqué d'apprendre que les terroristes sont au courant de tout ce que possède la famille. Un projet avicole à Yakouren, une unité industrielle en service à Alger, des biens immobiliers en Algérie et outre-mer. « Vous avez lancé un projet de 13 milliards, nous demandons trois milliards pour te libérer », décide l'émir. « Cela ne m'appartient pas. C'est la banque qui finance et je ne suis que l'entrepreneur qui réalise le projet. Je ne peux payer que 200 millions », rétorque l'otage, qui a très vite repris ses esprits, pour avoir vécu nombre d'adversités par le passé. L'émir se cabre : « Ana nhadad el mablagh – C'est moi qui décide du montant », lâche-t-il. Ce sera un milliard de centimes. A partir de ce moment, il ne s'agira plus d'argent entre les terroristes et leur proie. L'affaire sera traitée directement avec la famille, par des coups de fil incessants. Pour ce faire, la casemate prend les allures d'une boutique de téléphonie mobile. « Ils ont un cabas contenant plus de deux cents puces. Un appel ou deux et la puce est cassée », se souvient Madjid. Le nerf de la guerre dans l'industrie du kidnapping, ce sont les puces des téléphones portables achetées sur les trottoirs et dans les marchés. La désorganisation du secteur des télécommunications est une aubaine en or pour les groupes armés pratiquant les appels anonymes à partir de la montagne. Cela sert aussi à entrer en contact avec des islamistes en guerre partout où il y a un conflit dans le monde. « Irak, Afghanistan, Somalie, où il y avait un désordre à ce moment-là », se rappelle notre interlocuteur. Cela communique intensément également avec d'autres groupes dans la même région, puisqu'il était possible de convenir d'un rendez-vous dans les deux heures qui suivent, comme deux chômeurs qui conviennent de se rencontrer dans un café.
« S'ils ne paient pas, tu restes »
Pas d'éclairage, mis à part la luminosité du téléphone portable dirigée vers le sol, dans une casemate « aérienne » de 15 m2, faite de plastique noir et de branchages. « Pourquoi tu ne restes pas avec nous, Abdelmadjid ? Tu te sens bien ici, non ? De toute façon, s'ils ne paient pas, tu restes », disent ces terroristes qui ne donnaient pas l'impression de s'engager en guerre mais en affaires. Pendant ces quatre jours de captivité, aucun écho d'un accrochage ou d'une opération miliaire. L'on se préoccupe plutôt de l'ordinaire. « Vas chercher une bouteille de gaz, elle est sur la route », lance un terroriste à un autre. Ils expliqueront où vont ces milliards ramassés dans les rapts. Cela paie, en premier lieu, les terroristes, ou leurs veuves quand ils sont morts. Ils prétendront aussi qu'ils prennent des « permissions » pour aller se reposer parmi les leurs. « Nous kidnappons parce que les gens d'ici ne paient pas la fidya. Ailleurs, nous récupérons les enveloppes sans problème », disent aussi les islamistes du maquis. Ils connaissent la qualité de délégué des archs de leur otage et auront cette réflexion : « Aâlach habastou ? – Pourquoi vous avez arrêté ? On vous aurait aidés. » Enlevé le 28 mars 2007 à midi, à la sortie d'un chantier, à 5 km de Yakouren, il sera relâché samedi 31 mars à 22h, à Souk El Had, 30 km plus loin, vers l'ouest. Ils lui diront : « C'est réglé. Pars travailler. S'il t'arrive quelque chose, tu nous avises. » Il ne travaillera pas. Un an sans activité et la sourde oreille d'une entreprise du bâtiment sise à Hussein Dey, qui lui doit 600 millions de centimes pour un projet réalisé il y a deux ans. S'il recouvrait cette créance, cela lui permettrait de payer une partie de la rançon contractée sous forme de prêt. C'est la chronique d'un kidnapping ordinaire dans la Kabylie de ces deux dernières années. Une communauté villageoise qui ramasse un milliard en un week-end, un émir accroché au téléphoneet un gamin qui s'est désintégré plus vite que son lecteur MP3.


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