Réunis en urgence, les comités de villages ont décidé d'une grève générale en plus d'une caravane qui sillonnera toute la région. Encore une fois, un bras de fer oppose des villages de Kabylie à des kidnappeurs. Les habitants d'Aït Koufi, une localité située sur les hauteurs du sud-ouest de la wilaya de Tizi Ouzou, menacent de recourir à la force si les ravisseurs ne relâchaient par leur victime, un entrepreneur du même village, aujourd'hui. «Nous avons donné un ultimatum de 48 heures aux ravisseurs pour libérer leur otage immédiatement et sans conditions», insiste un villageois. L'ultimatum devait prendre fin hier, lundi dans l'après-midi. Aujourd'hui, mardi, si la situation n'a pas évolué, les villageois prévoient un grand rassemblement. A Aït Koufi, la tension était perceptible, tous ceux que nous avons contactés exprimaient le mécontentement général qui régnait. La colère se lisait sur tous les visages. «On en a ras-le-bol, c'est la cinquième fois qu'ils nous font le même coup», grondait un jeune de la localité quelques minutes avant la réunion du comité de village. A l'issue de cette réunion, il a été décidé d'une grève générale dans toute la daïra de Boghni en plus d'une caravane qui sillonnera les communes de Boghni, Mechtras, Bounouh, allant jusqu'à la région de Maâtkas. Comme il a été décidé également d'une battue au cas où le citoyen ne serait pas libéré. «Parmi les présents à cette réunion, il y a des représentants des localités de toute la commune de Boghni. C'est comme à Iflissen dans la région de Tigzirt», assure un autre villageois qui ajoute: «Nous jurons de Tigzirt à Boghni» comme pour rappeler le célèbre poème de Si Mohand U M'hend: «Je jure de Tizi Ouzou à Akfadou...» Comme signe de refus de ces pratiques, les comités de villages tiennent aujourd'hui un rassemblement en attendant une mobilisation plus large. Les faits de cet énième kidnapping remontent à mercredi dernier, lorsqu'un octogénaire, ancien entrepreneur, rentrant chez lui, a été intercepté puis enlevé par un groupe d'individus encagoulés et armés. Une rançon de deux milliards de centimes a été demandée à la famille de la victime. Jusqu'à hier soir, aucune autre nouvelle n'est venue dénouer l'affaire. Parallèlement, les villageois qui ont déjà vu cinq de leurs concitoyens enlevés les années précédentes, n'ont, jusqu'à hier soir, eu aucun contact avec les ravisseurs. Selon des sources proches du comité de village d'Aït Koufi, les villageois étaient prêts à céder une somme de 50 millions de centimes. Une offre à laquelle les kidnappeurs ne semblent pas vouloir donner suite étant donné que la victime demeure encore entre leurs mains. Ce statu quo a engendré un bras de fer qui provoque de plus en plus la mobilisation des villageois pour libérer l'otage. «Vu la détermination des villageois, je pense qu'ils sont prêts à aller jusqu'au bout pour libérer la victime», affirmait un autre citoyen de la région. Cette situation rappelle de fait une autre qui a eu lieu dans la région d'Iflissen, située sur le littoral à quelque 50 km au nord de la ville de Tizi Ouzou. Là aussi, un autre commerçant a été kidnappé, la nuit du vendredi 20 octobre 2009, une rançon d'un milliard de centimes avait été exigée de sa famille. Dans l'incapacité de s'acquitter de cette somme, la famille s'est rabattue sur la solidarité des villageois. Une réunion du comité de village d'Issennajen, puis de toutes les localités voisines et la mobilisation s'est propagée à la vitesse de l'éclair. Une battue a été organisée le lendemain à l'intérieur du massif du Mizrana et du côté Est, vers Yakouren. Les populations étaient sur le point d'entrer en guerre avec les ravisseurs. Trois jours plus tard, la victime sera libérée sans préalable et sans rançon. Une année auparavant, en 2008, une histoire similaire s'est déroulée à Aït Toudert dans la région des Ouacifs. Après l'enlèvement d'un citoyen, les villageois organiseront une marche avant de demander des armes pour se défendre. Le dénouement interviendra quelques heures plus tard. Le même procédé a été appliqué aux Ouadhias où les villageois ont refusé de payer la rançon. Ainsi, au vu de ces quelques situations, il apparaît que les populations se voyant confrontées à un danger, se réfugient spontanément dans les anciennes structures d'organisation traditionnelles, les comités de village. Ce mode de gestion collective basé sur la solidarité villageoise, remplacé par une structuration moderne réapparaît spontanément dès qu'il y a imminence d'un danger sur le groupe ou un individu parmi celui-ci. La réapparition de ce réflexe inné a été vérifiée donc à Aït Toudert puis à Iflissen et en d'autres situations. Cependant, au vu de la répétition de ces actes, il apparaît que les ravisseurs n'ont jamais pris en compte cette réaction naturelle. Même les spécialistes du phénomène des kidnappings et des prises d'otages ne mentionnent guère la dimension culturelle de ce phénomène. L'essentiel des études réalisées à ce jour se limite à observer les comportements des ravisseurs et de leurs victimes pendant et après l'action. Fait nouveau qui pourrait constituer un objet d'étude: les populations de Kabylie peuvent se mobiliser spontanément et rapidement face à ce danger. Une attitude à méditer même par les pays qui se plient à la volonté des ravisseurs bafouant du même coup les initiatives visant à criminaliser le paiement des rançons au niveau international.