Jamais dans les annales de la presse algérienne les correspondants des villes de l'intérieur du pays n'ont été autant persécutés que ces dernières années. Exerçant dans des conditions extrêmement difficiles, beaucoup d'entre eux vivent sous la menace de condamnations à des peines de prison ou au paiement de lourdes amendes pour avoir osé faire état de la gestion de leur ville par les responsables locaux. Très vulnérables, connus de tout le monde, ces journalistes, parfois lâchés par leurs rédactions, sont devenus les cibles les plus faciles à faire taire grâce à l'arsenal juridique répressif mis en place depuis les amendements du code pénal en 2001 sous le gouvernement de Ali Benflis. Des dispositions sont intervenues moins d'une année après l'appel du rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, Abid Hussain, exhortant les gouvernements à veiller à ce que les délits de presse ne soient plus passibles de peines d'emprisonnement, sauf pour les commentaires racistes ou discriminatoires ou les appels à la violence. La guerre aux journalistes gênants est alors engagée, surtout à l'intérieur du pays, où tous les coups bas sont permis. Abdelhai Beliardouh, le correspondant d'El Watan à Tébessa, payera de sa vie un article consacré au puissant Saâd Garboussi, membre de la chambre de commerce de Tébessa, quelques semaines après avoir été agressé, humilié et séquestré par un groupe d'individus en plein centre-ville. A l'époque, ni la police ni la gendarmerie ne sont intervenues pour porter secours au journaliste qui a été conduit en voiture dans la cave de la villa de Saâd Garboussi où il a été interrogé sur la source de son information. Moins de quatre mois plus tard, Beliardouh, ne supportant plus la pression qui pesait sur lui et sa famille, se donne la mort en ingurgitant de l'acide. Quelque temps plus tard, Hafnaoui Ghoul, correspondant à Djelfa d'El Youm, est arrêté alors qu'il venait d'écrire sur la gestion de la collectivité par le wali. Il a été arrêté par des policiers en civil puis conduit au procureur de la République pour être entendu à la suite d'une plainte déposée contre lui par le wali. Mis sous mandat de dépôt, il fera par la suite l'objet d'au moins une dizaine de plaintes pour diffamation, outrages et agressions physiques déposées successivement par plusieurs responsables locaux. Après une pluie de condamnations à des peines de prison allant de 2 à 8 mois et des amendes comprises entre 2000 et 50 000 DA, Hafnaoui sort de prison après sa mise en liberté provisoire. Tout comme Hafnaoui, Nora Ben Yacoub, une correspondante du Jeune indépendant (décédée il y a plus d'un an), subit de graves pressions pour avoir écrit sur la gestion de la ville par le wali. Son fils est enlevé quelques heures par des inconnus armés qui l'ont obligé à se déshabiller. Il a résisté et, par miracle, a pu échapper à ses agresseurs. A El Bayadh, Hassan Bourras, correspondant de plusieurs quotidiens, est condamné à deux ans de prison ferme et une interdiction d'exercer pendant cinq ans sa profession, à la suite d'une plainte déposée par le procureur d'El Bayadh contre deux articles. L'un révélait que l'épouse du procureur local avait falsifié un document administratif pour se faire recruter et l'autre faisait état d'un trafic foncier à El Bayadh impliquant des notables locaux. En dépit des preuves qu'il avait entre les mains, Hassan Bourras passera plus d'un mois en prison avant d'être mis en liberté provisoire, à l'issue d'un procès en appel où il a été condamné à une amende de 100 000 DA. Deux années plus tard, c'est le correspondant d'El Khabar, Bachir El Arabi (Abdelkrim Sid El Hadj), qui est arrêté par les services de sécurité pour être conduit en vertu d'un mandat d'arrêt lancé contre lui par le tribunal de Naâma en exécution d'un jugement par contumace prononcé contre lui le condamnant à un mois de prison ferme. Le verdict fait suite à un procès pour diffamation intenté par le wali de Naâma et l'association Ferrah mis en cause dans un article (paru plus de deux ans auparavant et faisant état de dépassements qui auraient eu lieu lors de la réalisation de Dar Errahma à Naâma). Le reportage de Bachir El Arabi est basé sur des documents fournis d'ailleurs à la justice. Mais le tribunal a condamné le journaliste à un mois de prison avec sursis assorti d'une amende de 50 000 DA. Le tribunal a également condamné le chargé des associations dans la wilaya d'El Bayadh, Radjaâ El Houari, à un mois de prison ferme pour avoir fourni des documents administratifs au journaliste. Mis en prison, le correspondant a entamé une grève de la faim pour exiger sa libération et dénoncer les nombreuses poursuites dont il faisait l'objet à cause de ses enquêtes sur la gestion de la ville d'El Bayadh. Mais il sera mis en liberté après avoir purgé un mois de détention pour diffamation. Quelques mois plus tard, Tayeb Bendjemaâ, correspondant du quotidien El Khabar à Khenchela (est), est interpellé à Constantine dans sa chambre d'hôtel. Un mandat d'arrêt a été établi contre lui dans le cadre d'une affaire remontant à 2001 pour laquelle il avait été acquitté. Il a dû passer deux nuits au commissariat avant d'être relâché. Au mois de mars dernier, Noureddine Boukraa du quotidien Ennahar est mis sous contrôle judiciaire par le tribunal général d'Annaba suite à une plainte déposée par le chef de sûreté de wilaya à la suite d'un article pour divulgation du secret de l'instruction par l'utilisation de documents classés confidentiels, atteinte à l'honorabilité d'un corps constitué et diffamation. Des chefs d'inculpation décidés à la suite d'un article signé par le correspondant et faisant état de l'implication de policiers dans un trafic d'influence. Il avait été placé en garde à vue pendant 24 heures avant d'être relâché en attente d'un procès. Yasser Abdelhai, correspondant de Chourouk El Yaoumi à Jijel, fait l'objet de plusieurs poursuites judiciaires engagées par les autorités locales, notamment le wali, à la suite de ses nombreux écrits sur la gestion des affaires publiques de sa ville. En tout, 26 plaintes et un total de 156 audiences et des condamnations totalisant 8 millions de dinars de dommages et intérêts dont 5 millions de dinars avec le wali de Jijel, juste pour avoir fouiné dans la gestion de la collectivité locale. S'il n'a pas été privé de sa liberté, le journaliste risque de perdre ses biens si d'ici le 15 mars il n'aura pas réuni les sommes exigées. Ce ne sont là que quelques cas cités sommairement, tout en précisant que beaucoup d'autres correspondants dans différentes régions du pays vivent sous la menace de la machine judiciaire. Certains ont fini par céder en recourant à l'autocensure, d'autres continuent à se battre contre vents et marées au prix de leur vie, de leur liberté ou tout simplement de leur santé. Ils méritent tous un grand respect vu les pénibles conditions dans lesquelles ils exercent ce métier usant et ingrat qu'est le journalisme.