Jamais dans l'histoire de la presse privée autant de journalistes ont été condamnés par la justice à des peines de prison pour leurs écrits. Aujourd'hui, l'Algérie compte trois journalistes en prison : Mohamed Benchicou, directeur du Matin, contre lequel une trentaine de plaintes pour diffamation sont instruites, Kamel Bousaâd ainsi que Berkane Bouderbala, directeurs de Errisala et Iqraa. Le premier est incarcéré depuis le 14 juin 2004, alors que les deux autres ont été mis en prison le 12 février dernier pour avoir reproduit les caricatures du Prophète Mohamed (QSSSL) et risquent même une lourde condamnation à la prison. Un autre confrère, le correspondant du journal El Khabar, Bachir El Arabi, a, quant à lui, passé un mois dans une cellule, après avoir été condamné à la même peine pour des écrits jugés diffamatoires. Ainsi, depuis la réélection du président Abdelaziz Bouteflika en 2004, la presse privée est mise à rude épreuve. Convocations à répétition des journalistes par les juges et la police, plaintes en diffamation émanant du pouvoir et partialité des magistrats sont le lot quotidien des journalistes. Plus d'une centaine d'affaires de presse ont été enregistrées en 2005, dont de nombreux procès se sont terminés par la condamnation de pas moins de 20 journalistes à des peines de prison ferme. Ainsi, des condamnations de un an de prison ferme ont été prononcées contre Farid Allilat, Fouad Boughanem, Sid Ahmed Semiane, Kamel Amarni et Ali Dilem, contre lequel au moins une vingtaine de plaintes pour diffamation ont été instruites. A lui seul, Ali Dilem cumule 9 années de prison. D'autres peines de six mois de prison ferme ont été prononcées contre Malika Boussouf, Hakim Laâlam et Nacer Belhadjoudja. Une sentence de 5 mois de prison ferme a été rendue contre Mohamed Benchicou, alors que Yasmine Ferroukhi, Djamel Eddine Benchenouf et Youcef Rezzoug ont été condamnés à 3 mois de prison ferme. D'autres comme Abla Cherif, Badis Massaoui, Hassène Zerouki, Ghanem Khemis, Abdelkader Djemaâ et Abder Bettach ont, pour leur part, été condamnés à deux mois de prison ferme. Des dizaines d'autres confrères restent pour l'instant sous le coup de plusieurs condamnations avec sursis. Cette escalade dans le harcèlement contre la presse privée a connu une étape très dangereuse ces derniers jours dans la mesure où la menace d'emprisonnement après ces peines de prison ferme pèse lourdement. Mercredi dernier, Hakim Laâlam, chroniqueur au journal Le Soir d'Algérie, a été condamné à 6 mois de prison ferme, assortie d'une amende de 250 000 DA pour avoir critiqué le président de la République durant la campagne électorale présidentielle d'avril 2004. Si ces peines de prison ferme venaient à être confirmées, en dernière instance - ce qui n'est pas du tout à écarter -, de nombreux journalistes risquent de se retrouver dans les geôles des établissements pénitentiaires. Ces condamnations ont suscité les plus vives réactions des ONG internationales de protection de la liberté de la presse, mais également de la corporation et de la société civile algérienne. Dans un communiqué rendu public le 3 mars dernier, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) a estimé que ces condamnations marquent une nouvelle étape dans le harcèlement juridique dirigé contre la profession. A travers Aidan White, son secrétaire général, la FIJ a affirmé que « la mise en œuvre de ces procès en appel représente une menace sans précédent pour tous les journalistes algériens qui veulent encore faire leur travail », affirmant plus loin que « les menaces pesant sur la presse indépendante ne s'arrêtent pas là. D'autres procès en appel auront lieu la semaine prochaine et les journalistes impliqués risquent aussi de lourdes peines de prison ferme ». L'organisation internationale a condamné avec « la plus grande fermeté » ce qu'elle a qualifié comme étant une aggravation des menaces portant sur les journalistes en Algérie. Elle a appelé la communauté des Etats du monde libre, qui accentuent ces derniers mois leurs efforts de coopération avec le pays, « à agir avec force contre ces menaces inacceptables sur la liberté d'expression en Algérie (...) ». Pour Aidan White, les déclarations du régime prônant la liberté de la presse « se sont révélées vaines et trompeuses (...). C'est sa vraie nature, autoritaire et répressive, qui apparaît aujourd'hui », a-t-il noté dans sa déclaration. Reporters sans frontières (RSF), une autre organisation de protection des journalistes, a profité de la visite à Alger de Josep Borrell, président du Parlement européen, pour tirer la sonnette d'alarme sur la situation « préoccupante » de la liberté de la presse. L'organisation, qui a parlé de « graves manquements aux principes de toute démocratie ainsi qu'à l'accord d'association signé entre l'Union européenne et l'Algérie », a appelé à la suppression des peines de prison pour les délits de presse, comme l'a demandé le rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d'opinion et d'expression, et l'ouverture d'enquêtes dans les cas d'agression ou de menace à l'encontre de professionnels des médias, en s'intéressant tout particulièrement aux cas des correspondants locaux, la libération immédiate du directeur du journal Le Matin, Mohamed Benchicou.