Politologue et enseignant à l'Institut des sciences politiques et relations internationales d'Alger, le docteur Ismaïl Maaraf expose dans cet entretien son analyse du dernier entretien accordé par le président Bouteflika à l'agence Reuters. Alors que l'on s'attendait à l'annonce de sa candidature pour un troisième mandat, l'entretien accordé par le président de la République à l'agence Reuters a jeté davantage de doute sur une telle éventualité. Comment expliquez-vous ce revirement ? Je pense effectivement que le Président n'a pas été très clair dans l'entretien accordé à l'agence britannique. Il a laissé beaucoup d'ambiguïté quant au sort réservé au projet d'amendement de la Constitution devant lui garantir la possibilité d'un troisième mandat. Je constate une hésitation chez le Président qui semble vouloir attendre que les représentants de la société civile qui ont montré leur soutien arrivent à convaincre le reste de la population de l'efficacité de ce projet. Il est clair que l'ambiguïté règne dans cet entretien sur son désir de briguer un troisième mandat, contrairement à la lecture faite par certains journaux qui parlent de franche déclaration en faveur d'une nouvelle investiture. Le Président, qui n'a pas eu d'échos favorables sur son bilan, n'a pas voulu s'aventurer avec une telle déclaration dans le contexte actuel en sachant qu'il est encore prématuré de le faire avant que le deuxième mandat ne s'achève. Il veut d'abord montrer qu'il a accompli un travail gigantesque au cours de son mandat actuel et qu'il a donné une certaine stabilité à la vie politique. L'interview montre aussi qu'il existe une tendance opposée à une révision de la Constitution. Révision qui n'a pour seule finalité que de garantir un troisième mandat, alors que la préoccupation majeure devrait être la valorisation des institutions de l'Etat. Bouteflika a donc voulu convaincre ceux qui hésitent encore à lui donner leur quitus ? Tout à fait. Ce n'est pas un hasard s'il a choisi cette agence étrangère. Je pense qu'il a voulu donner beaucoup de signes à l'adresse de ceux qui refusent ou contestent son désir farouche de briguer un troisième mandat. Il a d'ailleurs choisi d'axer sur le travail accompli en matière de stabilité politique et de lutte contre le terrorisme et la corruption. En un mot, il a tenté de présenter un bilan honorable de ses mandats. Ces personnes-là qu'il veut convaincre sont naturellement au niveau du système... Bien sûr. Il y a aujourd'hui dans le sérail une minorité mécontente qui est contre le troisième mandat et qui arrive à faire pression. Ce mécontentement est dû à l'échec des alliés du Président et ceux qui l'entourent qui ne sont pas arrivés à convaincre l'opinion nationale que le Président peut être la solution en 2009. Tous ceux qui animent la scène maintenant ne sont que quelques associations qui essayent vainement de mobiliser la population. Si le Président peut arriver à amender la Constitution, il est moins sûr qu'il arrive à réviser l'article 74, car il est aujourd'hui difficile de mener campagne pour un troisième mandat. Les ministres et tout l'appareil exécutif qui l'entourent ne sont pas arrivés à apaiser la souffrance des citoyens qui pensent plus à leur quotidien qu'aux prétentions présidentielles. Beaucoup de choses ont été dites sur l'efficacité du programme du Président, mais les citoyens continuent à souffrir sur le plan socioéconomique. D'où la précision qu'il a apportée dans son entretien de vouloir d'abord « terminer correctement » son deuxième mandat. Il semblerait que Bouteflika se voit aujourd'hui comptable d'abord d'un bilan avant de prétendre à renouveler sa mandature... Tout à fait. Aujourd'hui, le Président a compris qu'il ne peut pas aller vers un troisième mandat sans avoir convaincu le peuple qu'il a réellement tenu ses promesses. Pour cela, il a besoin encore de temps, mais l'année et demie qui reste est loin d'être un délai suffisant pour lui permettre d'accomplir sa mission de manière efficace. Il est tenu de demander un autre mandat pour pouvoir mener à bout son programme, mais pas sans avoir des garanties de soutien. Pour ce faire, il doit assurer que son projet de révision constitutionnelle garantisse à l'Etat et à l'institution militaire fidélité et stabilité. A la lumière de cette nouvelle évolution, comment appréhendez-vous l'élection présidentielle de 2009 ? Je pense qu'il est un peu tôt pour parler de cette élection dans la mesure où il n'y a pas beaucoup de clarté dans ce contexte marqué par l'ambiguïté des propos. Même les partis politiques qui s'y opposent n'ont pas montré leurs stratégies. Il faut attendre encore afin de pouvoir évaluer de manière judicieuse ce que réserve cette élection.