Amor Hakkar a signé une œuvre universelle avec La Maison jaune. Un film sur le deuil, la douleur, le combat. De la difficulté de survivre à son enfant. Le réalisateur a pris un énorme risque en faisant jouer des amateurs et en tournant dans sa langue natale. Que le chaoui est beau ! Que les Aurès sont magnifiques ! Le film commence comme un drame étouffant. Alya, une jeune fille de douze ans, bêche un lopin de terre aride. Une voiture de gendarmerie s'approche. L'un des gendarmes lui remet une lettre et l'informe que son frère aîné, qui effectuait son service militaire dans la gendarmerie, est mort dans un accident. La mère ordonne à son mari d'aller chercher le corps de son fils. Au guidon de son tricycle à moteur, sans attendre et bravant tous les interdits, Mouloud, le père, paysan modeste des Aurès, récupère le corps de son fils. Et une vidéo en guise de message posthume. Le hic est que vivant dans une maison isolée, la famille n'a pas l'électricité. « La Maison Jaune évoque l'histoire d'un homme qui va sur son tricycle chercher le corps de son fils. Il m'a fallu à moi aussi, depuis la France et jusqu'à son douar des Aurès, conduire le corps de mon père. Durant ces quelques jours, j'ai été confronté aux lourdeurs administratives, aux douleurs d'hommes et de femmes dont j'ignorais tout. J'ai été porté par des regards de compassion, et soutenu par des mains tendues et anonymes. J'ai aimé ces hommes et ces femmes qui, en définitive, me ressemblaient. J'avais presque oublié que j'étais un enfant des Aurès. De toutes ces rencontres, des promenades à travers cette région hostile et belle à la fois, est née mon envie très profonde et intime d'y réaliser un film », confie à la presse Amor Hakkar, la cinquantaine joyeuse. Donc, pas d'électricité ni de magnétoscope. Amor Hakkar, s'il sublime les paysages chaouis filmés comme une succession de tableaux, montre l'arrogance d'un pouvoir central autiste, la rupture entre le citoyen et l'Etat. Road movie, à bord d'un tricycle asthmatique, La Maison jaune se veut aussi une ode au combat à la vie, à la vie après la mort. Parce qu'il est nécessaire de faire son deuil, indispensable de redonner le sourire aux survivants. Continuer de se lever le matin, de croire au bonheur. « L'espoir doit toujours demeurer. A plusieurs niveaux. Tout simplement d'abord par rapport à mon propre cheminement, où j'ai cru que je ne ferai plus jamais de films. J'ai eu la chance d'en faire un autre et d'être présent aujourd'hui à Locarno, ce qui n'est pas rien. L'espoir ensuite par rapport... peut-être pas au bonheur, mais à l'idée qu'au plus profond des Aurès, un espoir peut naître. C'est pour moi un message très important. Je continue à croire en l'être humain, même si ce n'est pas toujours évident », explique le réalisateur dans une interview. Lors de sa projection à Sétif, en janvier, le film a eu droit à une longue standing ovation. Le public découvrait pour la première fois un film en langue chaouie. Et le combat du personnage était aussi le leur.