Le film La Maison jaune, de Amor Hakkar, présenté devant un public venu en force de Khenchela, a été accueilli avec les honneurs... L'avant-dernier jour du Festival annuel du film amazigh a été marqué par un fait pour le moins surprenant. La projection, dans l'après-midi, des films de nos amis suisses, ainsi qu'un des courts métrages marocains a été (pour la plupart d'entre eux) escamotée. Autrement dit, ils ont été censurés. Plusieurs stratagèmes ont été en effet utilisés: passer l'image en toute vitesse ou encore baisser la lumière du projecteur au maximum...Que faut-il en conclure? Que le public de Sétif est plus chaste qu'un autre? Un acte tout bonnement tartuffien qui sévit encore en l'an 2008. Et on se pose la question: est-ce le cinéma qui doit «descendre» ou s'abaisser au niveau des spectateurs ou bien est-ce à ceux-là de se hisser au niveau de l'art? Ne cherchez pas, cela porte un nom: le nivellement par le bas. Ces actes de mépris mis à part, le festival très fréquenté par la population sétifienne, au demeurant, a vu pour cette journée du samedi 12 janvier, la projection de plusieurs films dont celui qui retiendra notre attention: Les Arêtes du coeur. Un film signé Hichem Ayouch (Maroc, 1h25, 2006) concourait également pour l'Olivier d'or. L'histoire se déroule à Tafdnar, un petit village de pêcheurs, qui s'est arrêté de vivre le jour où la majorité de ses hommes sont morts en mer. Les femmes, rongées par la tristesse et la solitude, sombrent dans une douce folie. L'avènement d'un fait insolite va déstabiliser leur vie jusque-là complètement terne et sans saveur. La mer fera cracher un bras dont toutes les femmes croient en être la propriétaire car ayant perdu, laquelle un mari, laquelle un fils...Un film aussi tendre qu'acide sur la dure vie que mènent ces ramasseurs de moules, obligés de faire face à la révolte de la nature et aux exigences des hommes, bercés qu'ils sont par leurs bleus à l'âme et les vagues de cette mer nourricière. Les vastes étendues de sable et le ciel rouge feront rayonner ce film rythmé par un éternel recommencement...Au fatalisme des uns succédera la volonté de ce scientifique de faire sortir le village de sa misère et de ce garçon pour aller s'épanouir ailleurs en emportant avec lui une de ces femmes. Mais celle-ci finit par se suicider par peur d'être confrontée à une nouvelle malédiction. Un film aussi profondément poétique et lumineux qui renvoie à la dure réalité sociale de ces vieux marins que ce soit au Maroc ou ailleurs... L'autre film en compétition est La Maison jaune de Amor Hakkar. L'histoire d'une famille de paysans des Aurès confrontés au douloureux deuil de leur fils aîné, un jeune appelé, tué dans un accident. Aya, une jeune fille de douze ans, bêche un lopin de terre aride. Une voiture de la gendarmerie s'approche. L'un des gendarmes lui remet une lettre l'informant que son frère aîné, qui effectuait son service militaire dans la gendarmerie, a trouvé la mort dans un accident. Au guidon de son tricycle à moteur, Mouloud, le père, un paysan modeste, récupère le corps de son fils. Fatima, la mère est plongée dans une immense tristesse. Le pharmacien conseille au père de peindre les murs de la maison en jaune pour que sa femme aille mieux. Aussi, il retrouve dans le cartable de son fils une cassette vidéo montrant les «Au revoir!» de ce dernier. Mais impossible de la visionner car n'y a pas d'électricité à la maison. S'ensuivent des péripéties pour l'obtenir, dont une visite chez le wali... Une histoire qui se raconte avec simplicité sans fioritures ni artifices, avec cependant quelques lenteurs dans le rythme qui ne diminuent en rien la beauté de ce film dont la mise en scène aussi bien que le cadre du tournage lui donneront un cachet hautement universel, tout en finesse. Un sujet sensible interprété par une pléiade d'acteurs non professionnels à l'exception de celui du personnage de la mère. Notons que ce film, tourné en langue chaouie, a été présenté devant un parterre constitué pour la plupart de gens de Khenchela venus en force le soutenir. Sans oublier M.Karim Aït Oumezinae, responsable du département cinéma au commissariat de «Alger, capitale de la culture arabe 2007». Ce film, fera remarquer le réalisateur Amor Hakkar, a été d'ores déjà sélectionné pour prendre part à plusieurs festivals dont ceux de Montpellier, Locarno, Namur, Rotterdam, Montréal et Miami notamment. La fin de cette projection est immédiatement suivie de salves d'applaudissements très chaleureuses appuyées de youyous. Beaucoup d'émotion se ressentait dans la salle de la Maison de la culture de Sétif. Amor Hakkar n'hésitera pas à faire monter sur scène toute l'équipe qui a joué dans le film. «Je me revendique comme cinéaste et réalisateur. J'ai écrit ce scénario qui était très important pour moi. J'ai voulu montrer comment après avoir été frappé par le deuil, on arrive à réapprendre à vivre. C'est la chose qui me semblait la plus importante, même si je vous l'accorde, il y a quelques imperfections dans le film. Mon intention, peut-être un peu prétentieuse, est de lui donner une dimension universelle...Mon rêve est de voir se projeter un de mes films à la cinémathèque algérienne. Mon but est de faire rayonner le cinéma algérien ici et à l'étranger...», nous dira le réalisateur, qui n'a eu de cesse d'immortaliser cette soirée avec sa caméra. Et de souligner: «J'ai écouté et je vous promets de faire mieux la prochaine fois. Parole de Normand. Le plus important est que la culture amazighe rayonne.» Enfin, notons qu'en parallèle à ces projections, un colloque sur «L'image, imaginaire et histoire» s'est tenu dans la même journée au musée. En étroite collaboration avec des historiens français et algériens, ainsi que des spécialistes en image, il nous a été proposé à cette occasion d'approfondir le débat entamé en 2003 dans le cadre de ce colloque. Partant de l'image historique, -notamment un documentaire sur le 11 octobre 1961 et le film Arezki l'Indigène-, les intervenants ont tenté une réflexion sur la genèse d'une histoire, une mémoire et, au-delà, un imaginaire. «Il s'agit moins de revenir sur le débat de l'écriture de l'histoire que d'interroger cette période éloignée, bien présente à bien des mémoires et déterminante pour ce qui se passe aujourd'hui», avons-nous appris.