Khellafi Mouloud, un quinquagénaire natif de Souk El Tenine (Béjaïa), s'est rendu compte que se plaindre d'un magistrat a un prix : deux ans de prison ferme et 50 000 DA d'amende. C'est la peine prononcée par le tribunal de Kherrata et que vient de confirmer, en deuxième instance, la cour de Béjaïa. Un procès inédit intenté par un magistrat qui a estimé calomnieux le contenu d'une requête dans laquelle un justiciable s'est plaint « d'un abus de pouvoir », auprès du ministère. Tout a commencé lorsqu'en 1997, a été mis à exécution l'ordre d'un magistrat de Kherrata de démolir la partie d'une construction en chantier qui était l'objet de conflit entre M. Khellafi et son voisin, dans un village de Souk El Tenine. La démolition est intervenue deux jours après la décision d'incompétence rendue par le juge des référés et confirmée plus tard par un arrêt de la cour de Béjaïa. Et, c'est ce qui a posé problème pour le plaignant qui sera assigné le lendemain de la démolition, à comparaître pour le chef d'inculpation d'« empiètement sur une propriété d'autrui ». Après une condamnation à une amende, le mis en cause sera relaxé par la Chambre pénale près la cour de Béjaïa, et sera aussi conforté par les résultats de de l'expert judiciaire qui a conclu au caractère non-gênant des ouvrages démolis. Il s'était, entre-temps, plaint de la décision de démolition et de l'abstraction qu'elle a faite de la décision d'incompétence du juge des référés par des requêtes répétées auprès du procureur général du ministre de la Justice, du chef du gouvernement et du président de la République. Il ne sera pas entendu. L'affaire est classée et une autre est née, puisque l'une de ses requêtes lui vaudra un procès en diffamation pour « dénonciation calomnieuse » plus exactement. Le tribunal de Kherrata sera actionné par le magistrat, exerçant aujourd'hui dans une autre cour. En l'absence d'une copie de la requête sur laquelle s'est basée l'enquête administrative du ministère de la Justice, le tribunal s'est dit incapable d'apprécier le délit de « dénonciation calomnieuse ». Ce qui amène le tribunal à ordonner, en 2003, une enquête complémentaire et la présentation d'une copie de cette requête. Plus de trois ans plus tard, M. Khellafi sera condamné une première fois par défaut à une année de prison et 10 000 DA d'amende pour « dénonciation calomnieuse ». Il aura droit à une audience contradictoire qui lui a donné l'occasion de se défendre en novembre dernier. Mais c'était à regretter le premier jugement, sa condamnation s'aggravera : deux ans de prison ferme. Une peine pour laquelle la cour suprême a été saisie par un pourvoi en cassation. « Je continuerai à réclamer justice », nous dit l'accusé, après l'audience. A la veille du procès, il s'en est remis au ministre de la Justice et garde des Sceaux par un « appel au secours » en sollicitant son intervention pour lui demander « de diligenter une enquête impartiale sur l'abus de pouvoir gravissime dont il fait l'objet ».