Si chez les poètes pakistanais contemporains la forme est traditionnelle, la complaisance pour l'effet métaphysique, la méfiance aussi à l'endroit de la rhétorique léguée par le siècle précédent, montrent bien que la leçon de l'imaginaire dépasse largement les poètes que l'on a coutume d'associer à ce début de siècle. Ahmed Ashemar (né en 1950) est un poète humaniste (il a traduit Lucrèce) qu'on peut placer dans une perspective néo-classique. Deux vies (1997) est sous forme de sonnets, le roman dramatique vécu par le poète dont la fille sombra dans la folie. L'emploi d'un style hérité est distinct du recours volontaire à la tradition qui caractérise le groupe de poètes originellement partis de Karachi dont Mohamed Bethar est le porte-parole le plus éminent. On situera ces poètes, qui sont autant critiques que poètes, dans le courant d'une idéologie socialement conservatrice. Leur poésie reflète très diversement, et leur humanisme antiromantique et leurs revendications intellectualistes. Chez eux, un effet profondément lucide a assimilé les apports du passé, y compris les innovations techniques de la veille. La personnalité très riche de Samir Kheïrallah (né en 1953) dépasse incontestablement, sur le plan de la poésie du moins, un système à jamais discrédité pour nous par la période « terroriste » que le Pakistan vit depuis plus de dix ans. Penché avec ferveur sur Karachi, il écrit une ode pleine de retenue, émouvante indirectement. Ses vers sur Dhou El Fikar Ali B'Huto et sa fille Benazir, (tous deux assassinés par les généraux corrompus et vendus aux USA), sont d'une précision acérée et écorchante, dans un Pakistan « terrorisé » par les généraux « cartoniques » mais on sent, en lisant cette poésie qu'elle vient après le grand poète Mohamed Iqbal. Ce suprême contrôle d'un esprit admirablement délié, appliqué à un lyrisme peut-être plus instinctif, caractérise l'art raffiné de Salim Sharif (né en 1957). L'ironie est chez lui mordante et réprime l'émotion, sentie. La nostalgie d'un passé hypostasié, l'esprit mordant des « cavaliers » du XIXe siècle, les certitudes d'un goût épuré à la lumière d'une culture mathématique, nourrissent et décantent à la fois une inspiration précieuse. Références : Anthologie de la poésie pakistanaise, (en arabe) Dar El Maourid Jordanie.