L'émission hebdomadaire de Karim Hamiti “Culture Club”, l'un des rares espaces véritablement culturels qui donnent un peu de volume au programme de notre télévision, s'est intéressé cette semaine au boycott, par les éditeurs algériens, du salon international du livre de Paris qui s'est mis sous la coupe de l'Etat hébreu en faisant de lui l'invité d'honneur à l'occasion du 60e anniversaire de sa création. L'Algérie ayant joint sa voix à celles des pays du Maghreb et d'autres pays arabes comme le Liban, la Syrie ou l'Egypte pour s'élever contre le parti pris flagrant des organisateurs français au moment où, dans les rangs palestiniens, on ne compte plus les morts, parmi lesquels des enfants innocents, des femmes et des vieillards, victimes d'un génocide à ciel ouvert mené par l'armée israélienne, on avait là une émission qui collait à une actualité brûlante sauf qu'il aurait fallu, pour lui donner encore plus de relief, l'étendre aux avis et aux réactions des écrivains algériens eux-mêmes, principaux concernés, notamment à ceux qui d'une part ont fait le choix de renoncer pour des convictions qui leur sont propres, à l'image de Yasmina Khadra ou de Mohamed Benchicou, et d'autre part à ceux qui ont décidé d'y aller comme Boualem Sansal ou Maissa Bey et qui ont également leurs motivations personnelles à faire valoir. Il y avait matière à instaurer un grand débat intellectuel à partir des engagements des uns et des autres sur un sujet qui ne laisse pas insensible, mais qui avec les trois invités de “Culture Club”, tous responsables d'édition, s'est limité à tourner autour de la justification du boycott par des positions de principe qui semblaient appartenir à une autre sphère de réflexion. Au demeurant, en Algérie, on reste très attaché à la cause palestinienne, c'est pour répondre politiquement à la provocation du Salon de Paris que la date du Salon du livre d'Alger a été symboliquement avancée d'un mois pour la faire coïncider avec le rendez-vous littéraire parisien et affirmer au monde concrètement une solidarité avec le peuple palestinien qui résonne comme un devoir de conscience. Sauf que là aussi d'aucuns pourraient légitimement se demander quel serait réellement la portée de cette initiative quand, de l'autre côté de la Méditerranée, on ne se gêne nullement de dérouler le tapis rouge à un hôte arrogant, calculateur et de surcroît auteur de crimes abominables que la communauté internationale réprouve. La France officielle qui semble vouloir redonner une autre tournure à ses relations avec Israël depuis la venue au pouvoir de Nicolas Sarkozy a fait un choix qu'elle devrait assumer. C'est peut-être un signe perceptible du changement, sous l'impulsion du lobby juif, de sa politique moyen-orientale qui rend son soutien à Israël encore plus conséquent. L'inauguration par Shimon Perez du Salon du Livre qui a donc mis son habit de lumière pour accueillir l'Etat hébreu alors que la Palestine n'a jamais eu droit à tant d'égard est à prendre comme une position politique claire, mûrement réfléchie par l'Elysée. Une position tellement confortable pour le président israélien que ce dernier s'est donné toute la liberté de ton pour fustiger les écrivains arabes qui se sont signalés par leur absence, les traitant d'ignorants intellectuels. ”Ce sont des ignares, des scélérats et leur boycott est un autodafé...” a-t-il dit. Une grave insulte qui n'a pas fait broncher ni les autorités françaises ni la grande presse hexagonale. Shimon Perez était en terrain conquis. La défection volontaire des pays arabes peut-elle dans cette optique être considérée comme un mouvement de résistance intellectuelle capable de faire changer la donne à l'avenir ? De peser sur les rapports de force engagés actuellement autour d'un salon dont la dimension littéraire semble reléguée au deuxième plan compte tenu de la vive tension politique qu'il a provoquée ? Il est trop tôt pour en tirer des conclusions, mais ce qui est sûr déjà c'est que parmi les écrivains algériens, puisque ce sont eux qui nous intéressent le plus, il y a deux sons de cloche, preuve que la vision qu'on a sur ce combat intellectuel qu'on veut instaurer est loin d'être unitaire, du moins unifiée. Yasmina Khadra explique son refus de participer non pas pour s'aligner sur la décision des gouvernants arabes (celui y compris de l'Algérie normalement) qui sont à l'origine de tous nos malheurs, criant sur les toits et baissant les pantalons dans les coulisses, mais par rapport au discours crétin de Shimon Perez qui a proféré les pires insultes à l'encontre des écrivains arabes. Il ne veut donc pas jouer au bougnoule de service prompt à renier ses valeurs et brader sa dignité. Accusé par la presse française d'avoir été instrumentalisé par le pouvoir algérien, l'auteur de “Les hirondelles de Kaboul” répond que sa décision est saine, sans haine et sans subterfuge... La question qu'il nous laisse en suspens est de savoir quelle aurait été sa réaction si le Président israélien s'était abstenu de faire une telle déclaration ? Mohamed Benchicou qui soit dit en passant n'aura jamais les faveurs de la télévision nationale pense à peu près la même chose. ”Il est pénible, affirme-t-il, d'être forcé au partage du choix hypocrite des tyrans arabes, mais ne voyez dans mes modestes motivations aucun lien avec les immenses escobarderies des dirigeants arabes et de ces organisations d'éditeurs satellisées...” Il ajoute toutefois “quel écrivain peut supporter d'avoir accompagné un jour, une heure, par son silence, le sanglot d'un orphelin ?...” Boualem Sansal qui a décidé lui d'être présent avec cette opinion-alibi : ”On boycotte quoi à Paris ?” pourrait être destinataire de ce message à double tranchant. L'auteur du “Village de l'Allemand” précise que “le mot boycott me donne l'urticaire. Je me gratte furieusement ici et là et encore là entre les deux sans savoir si c'est ma dignité, mon intelligence, mon esprit, mon foie, mon nez ou mon petit business qui s'irrite de l'entendre...” Il ajoute : ”N'est-ce pas plutôt la France qui est boycottée pour avoir mis Israël à l'honneur ? Faut-il y voir un lien avec les déclarations récentes de Sarkozy au demeurant trop soudainement pro-israéliennes ? Un avertissement quant à un éventuel changement de la politique arabe de l'Elysée ?” Sansal n'ignore rien de la dimension politique du conflit de pensée, mais... il y va quand même. Tout comme Maissa Bey qui dit participer en tant qu'écrivain et non en tant que citoyenne algérienne. Pour elle, la confusion n'est pas permise.