En dépit du fait qu'elles sont devenues un problème de santé publique, la violence à l'égard des femmes continue à prendre de l'ampleur. Une enquête réalisée par la Gendarmerie nationale et rendue publique hier, a confirmé encore une fois la tendance à la hausse de ce phénomène inquiétant. Si les agressions physiques ont connu une légère baisse, les violences sexuelles, notamment les viols et les enlèvements ont progressé dangereusement et d'une manière inquiétante. Les auteurs de l'enquête ont d'ailleurs séparé les deux types d'agression à travers des tableaux révélateurs. Ainsi, les services de la Gendarmerie nationale ont recensé 1747 cas de femmes violentées en 2001, 1753 en 2002, 2330 en 2003 et 1955 victimes en 2004. Durant ces 4 années, 1928 femmes ont été victimes de coups et blessures volontaires avec arme blanche, 257 ont fait l'objet de tentatives d'assassinat, dont 155 sont mortes, 180 ont été enlevées et violées et 947 victimes d'attentat à la pudeur. 2007, une année violente Les adolescentes représentent 580 cas des violences sexuelles constatées par les services de la gendarmerie, lesquels ont relevé une hausse considérable des violences à l'égard des ascendants. En effet, durant cette période, 817 mamans ont été violentées par leurs enfants, alors que 180 femmes ont déposé plainte contre leur mari pour violence. En 2005, les chiffres indiquent une légère hausse avec 1194 femmes victimes d'agressions. Les violences physiques viennent en première position avec 666 cas, suivies des viols avec 244 cas et des attentats à la pudeur avec 150 cas. Durant cette même période, 33 femmes ont été assassinées et 66 enlevées. L'année 2006 a elle aussi eu son lot de violence avec 896 victimes. Les coups et blessures volontaires viennent en tête avec 435 cas, suivis des viols avec 225 cas. Durant cette même période, 16 femmes ont été tuées et 65 ont fait l'objet d'enlèvement. En 2007, les chiffres relatifs aux violences sexuelles ont connu une hausse sensible. Ainsi, 161 femmes ont subi des violences physiques, 17 ont été assassinées et 51 ont fait l'objet de rapt, alors que 448 ont subi des violences sexuelles. Parmi ces dernières, 278, dont 135 mineurs, ont été victimes de viol ou de tentative de viol, 109 (dont 38 adolescentes) ont fait l'objet d'attentat à la pudeur, 16 ont été enlevées et violées. Pour ce qui est des deux premiers mois de l'année 2008, les gendarmes ont enregistré 8928 affaires de violence contre les femmes. 172 d'entre elles concernent des plaintes pour coups et blessures volontaires (86 sur adolescentes), 50 pour attentat à la pudeur (dont 29 sur mineurs), 32 pour viols (12 sur mineurs), 12 pour meurtre et 17 pour enlèvement (dont 12 mineurs). Ces chiffres sont alarmants et augurent une augmentation importante des violences durant l'année en cours. La catégorie des femmes la plus sujette aux violences sexuelles est celle dont l'âge est compris entre 19 et 28 ans, suivie de celle des mineurs, puis de celle âgée entre 29 ans et 40 ans et en dernière position, la catégorie de plus de 40 ans. En général, les violences sexuelles ont constitué, en 2007, un ensemble de 1069 affaires, pour lesquelles 1022 personnes ont été écrouées, parmi lesquelles 184 ont bénéficié de la liberté provisoire. Toutes les villes du pays sont concernées, mais la concentration est beaucoup plus remarquée dans les grandes villes. Alger et Sétif occupent la première position avec respectivement 58 et 57 affaires traitées, suivies d'Oran avec 50 affaires, Mostaganem 48 et Chlef 46 affaires. Les wilayas du Sud sont celles où l'on enregistre le moins de violence, ou peut-être de plaintes pour violence. Ainsi, à Tamanrasset par exemple, la gendarmerie a enregistré 5 affaires, à Naâma 3 et à Illizi une seule. L'enquête a mis l'accent sur les graves conséquences de ce phénomène sur la société en général et sur la victime en particulier. Les violences, a-t-on révélé, engendrent non seulement des séquelles physiques, comme une hémorragie aiguë, des fractures, un handicap ou la mort, et des préjudices moraux, comme la perte de la valorisation de soi-même, la dépression nerveuse, des psychoses, des cauchemars, des angoisses perpétuelles, des maladies nerveuses, la peur des relations sexuelles, le recours à la prostitution par vengeance, aux drogues et à l'alcool, ou enfin au suicide. Autant de conséquences graves qui mettent en péril la stabilité de la cellule familiale et par extension la société. L'auteur de l'enquête, le lieutenant Ouahiba Boumedienne, a expliqué que ces violences « doivent être considérées comme dirigées contre toute la société et devraient inciter tous les spécialistes à coordonner leurs efforts pour s'arrêter devant cette image de sous-être, projetée sur les femmes. Lorsque la femme sera vue sur un pied d'égalité avec l'homme dans de nombreux pays du monde (...) alors la question des violences à son égard basculera d'une simple affaire de solidarité à celle qui concerne toute une société et qui nécessite une lutte du fait des dommages qu'elle lui cause ». Il est également fait état de l'importance de la prise de conscience des femmes qui doivent être informées de leurs droits, notamment lorsqu'elles subissent une quelconque violence, quelle que soit sa nature. « La politique du silence qui nourrit et encourage les violences doit cesser et les femmes doivent savoir qu'elles ont le droit d'ester en justice leurs agresseurs et exiger une réparation des préjudices moraux et physiques subis (...) Que les Etats mettent en place des stratégies de lutte contre ces violences à travers des dispositifs juridiques et administratifs ainsi que des campagnes de sensibilisation et de vulgarisation de ces instruments de protection (...) Les viols et les violences sexuelles, la torture, l'esclavage sexuel, le proxénétisme et la stérilisation involontaire doivent être considérés comme étant les crimes les plus abjectes, et lorsqu'ils sont commis avec récidive, ils deviennent des crimes contre l'humanité. » Des recommandations basées sur la situation en Algérie, mais également dans le monde et notamment dans les pays arabes, où même si les chiffres sont rares, les violences contre les femmes constituent un vrai problème. Ainsi, au Qatar, 41% des femmes se plaignent des violences domestiques, alors qu'une autre enquête a montré que 81% des Jordaniens acceptent que le mari batte sa femme pour la corriger, et 70% des auteurs de violences en Syrie sont des membres de la famille de la victime, surtout l'époux. En Egypte, il n'existe aucune statistique du fait que les violences familiales ne sortent pas du cadre de la famille. Les pays voisins n'y échappent pas Dans la région du Maghreb (Algérie, Tunisie et Maroc), le problème de ces violences a commencé à être pris en charge dès le début des années 1990 et c'est en 1995 que le premier centre d'écoute psychologique destiné aux femmes victimes de violences a été créé grâce aux efforts conjugués de nombreuses associations féminines. En dépit du fait que beaucoup de victimes ont du mal à extérioriser leur mal, en 2004, ce centre a reçu 1141 appels téléphoniques et pris en charge 808 femmes. Il a reçu également 2489 femmes, prodigué 3574 conseils juridiques et tenu 2489 séances d'écoute. Durant les trois dernières années, le nombre de violences à l'égard des femmes a atteint 28 000 dans les trois pays. Un nombre effarant, lorsque l'on sait qu'une grande partie des femmes battues ne sont pas recensées. En Algérie, la première enquête nationale sur le phénomène des violences, publiée en 2007, a montré que 50% des agressions sont familiales, alors qu'un quart des violences est commis par les enfants contre leur maman. L'enquête de la gendarmerie a indiqué également que sur 1809 victimes recensées par l'association Femme, les auteurs sont en premier lieu le mari, suivis des frères, alors que 1309 victimes ont été agressées par des étrangers. Dans le volet consacré aux lois, l'enquête indique que les législateurs ont mis en place un dispositif répressif contre ces violences, qu'elles soient physiques, sexuelles ou morales.