Devenu un problème de santé publique, le phénomène de la violence à l'égard des femmes a fait l'objet d'une enquête réalisée en 2003 par la Gendarmerie nationale, dont les résultats sont révélateurs. L'exploitation des données fait apparaître « une croissance rapide de la violence » qui s'est « accélérée » au fil des années pour se transformer en un phénomène « inquiétant ». Ainsi, le nombre d'affaires traitées par la gendarmerie est passé de 11, en 1997, à 137 en 2000 pour atteindre 332 affaires en 2003. Durant ces six années (1997 à 2003), le plus grand nombre de victimes de violence se compte dans la catégorie des femmes dont l'âge est compris entre 18 et 28 ans, avec 143 affaires enregistrées, suivie des 29-40 ans avec 81 affaires. Les femmes de 40 ans et celles de moins de 18 ans occupent simultanément la troisième position des victimes avec 40 affaires traitées pour chacune des catégories. L'enquête a noté que les femmes mariées et sans emploi sont les plus sujettes à la violence puisqu'elles représentent 60% des victimes avec 2003 cas enregistrés entre 1997 et 2003. Les étudiantes représentent 19% des femmes battues avec 62 cas, les employées 11% avec 35 cas, les fonctionnaires 8% avec 27 cas, les femmes occupant des activités libérales représentent 1% seulement avec 2 cas et 4 cas de femmes militaires. Cette violence, ont indiqué les auteurs de l'enquête, s'exerce souvent par le recours à l'arme blanche et aux coups de poing avec 327 affaires traitées, alors que l'usage des armes à feu ne représente que 5 cas. Sur l'ensemble des cas enregistrés par la Gendarmerie nationale, 39 sont liés à des violences sur l'épouse, 61 sur ascendants et 16 sur des mineures. Pour le reste, soit 216 cas, il n'y a aucun lien de parenté avec l'auteur. Les causes de ces violences sont multiples, mais les plus importantes sont « la polygamie, la consommation d'alcool et de drogue, se manifestant par irritabilité, agression, incapacité à envisager l'avenir et apparition de maux sociaux... La pauvreté est un des facteurs qui conduisent à la violence. Elle a connu une évolution alarmante entre 1995 et 1998, engendrant un taux de chômage de 27,3%... ». Les auteurs de cette enquête ont noté que les violences contre les femmes ont eu des conséquences néfastes sur la cellule familiale qui connaît un effritement progressif. Ainsi, le taux de divorce, qui est calculé selon le nombre de mariages célébrés par année, ne cesse de s'accroître. Il est passé de 7% en 1970 à 25% en 1980 pour atteindre 40% vers la fin 2003. « Le divorce est donc devenu un phénomène de société ; depuis 1990 on compte plus de 100 000 divorces sur 250 000 mariages par an, un nombre qui connaît chaque année une baisse légère. » Des cellules d'écoute et de sensibilisation Une des conséquences des violences à l'égard des femmes reste la prostitution. L'enquête a constaté que le comportement des petites filles violentées est différent de celui des garçon victimes de violences. « Souvent, les petites filles battues ne se transforment pas en personnes violentes (comme c'est le cas pour les garçons), au contraire elles se transforment en femmes passives, craintives et résignées, terrain propice au développement d'une femme soumise et complexée, future candidate à la prostitution. » A travers cette enquête, les services de la gendarmerie ont recommandé l'ouverture de structures d'écoute, de permanences téléphoniques et de centres d'hébergement pour les femmes et les enfants battus, fonctionnant 24 heures sur 24, qui permettraient l'accueil des victimes de violence dès qu'elles décident de fuir la violence conjugale. Il est également recommandé d'organiser ce foyer de façon à ce que chacune des locataires puisse participer à sa gestion, permettre aux femmes de s'instruire, se perfectionner en faisant venir sur place des formateurs pour acquérir un métier, leur apprendre à connaître leurs droits et à les réclamer. Sur le plan médical, il a été recommandé des séances de thérapie de groupe pour apprendre aux victimes de violences comment retrouver confiance en soi-même, d'être valorisées, de rompre leur isolement et de développer des possibilités d'autonomie. L'enquête a beaucoup insisté sur des campagnes de sensibilisation « afin de casser ces tabous trop dérangeants pour une société déjà fragilisée par une crise économique destructrice des valeurs et du tissu social. Au-delà des actions de prévention et de lutte contre les multiples formes de violence mises en place par les pouvoirs publics, seule une révolution culturelle des attitudes et des comportements permettra de venir à bout de ces pratiques dégradantes et destructrices, physiquement et psychologiquement ». L'enquête a rappelé les résultats du sondage réalisé en 2000 avec l'aide du Fonds des Nations unies pour les femmes (UNIFEM) sur un échantillon de 1220 personnes interrogées à travers 18 wilayas du pays dans la perspective de la révision du code de la famille. Contrairement à ce qui a toujours été avancé par les partisans du maintien de ce texte rétrograde, les chiffres de ce sondage montrent une toute autre réalité. Ainsi, 6 Algériens sur 10 et 8 Algériennes sur 10 refusent la polygamie. Mieux, 8 Algériens sur 10 sont pour une égalité des droits dans le divorce et 98% reconnaissent que le logement conjugal doit revenir à la femme qui a la garde des enfants. De même que 59% des hommes et 42% des femmes ont estimé que la violence à l'égard de l'épouse se justifie dans certains cas, alors qu'une femme sur trois a déclaré avoir été frappée (ou encore battue) par son entourage masculin. Il est noté : « Du 1er janvier au 15 septembre 1996, 279 femmes, dont 30 mineures, ont été victimes de coups et blessures volontaires, 198 femmes, dont 169 mineures, ont fait l'objet d'attentats à la pudeur, 149 dont 7 mineures, ont été victimes de vols, 99 dont 51 mineures ont été violées et 39 mineures ont été incitées à la débauche. » Le sondage a révélé que 6 Algériens sur 10 sont favorables au fait que la femme ayant la garde des enfants puisse garder ces derniers même une fois remariée. Ils sont 82% à être d'accord pour le partage de l'autorité parentale. Ce qui bat en brèche les arguments de ceux qui se sont obstinés à maintenir certaines dispositions discriminatoires contenues dans le code de la famille, notamment l'obligation de la présence du wali lors du mariage pour les femmes et l'autorité parentale dévolue au père seulement.