Une rude bataille juridique d'un côté et un livre témoignage, le huitième mort de Tibhirine, de l'autre, Rina Sherman mène, depuis plus de quatre ans, un difficile combat quant à la vérité sur le suicide de son compagnon Didier Contant. Dans cet entretien qu'elle nous accorde, elle explique comment un journaliste a été poussé au suicide, parce qu'il a remis en cause une thèse établie par les partisans du « Qui tue qui ». Le 19 mars, le journaliste de Canal+, Jean Baptiste Rivoire, a été mis en examen dans l'affaire de Didier Contant. Comment cette décision est-elle arrivée ? En janvier 2005, j'ai déposé une plainte avec constitution de partie civile et après plusieurs auditions, le juge a fini par mettre en examen Jean-Baptiste Rivoire, pour « violence volontaire préméditée » n'ayant pas entraîné une incapacité de travail. Cette procédure a pris plus de trois ans, mais elle a fini par aboutir. Les nombreux journalistes qui ne voulaient pas me faire état de leurs témoignages, de peur de représailles, ont fini par le faire devant le magistrat, parce qu'il les a confrontés à des échanges de nombreux messages avec Didier Contant que j'ai pu réunir. Il est important de rappeler que Rivoire a été déjà débouté en appel dans sa plainte déposée contre Jean-François Kah, de Mariane. Est-ce que ce procès risque de rouvrir l'affaire du suicide de Didier Contant ? Je ne pense pas que cette thèse risque d'être changée. Néanmoins, nous avons confiance en la justice et nous espérons que cela ouvrira la piste au doute. Je défends la mémoire et la dignité de Didier Contant, tout en défendant également la liberté d'expression, si chère aux journalistes. Didier n'a même pas eu le temps de rédiger ses notes, avant que les partisans du « Qui tue qui ? » ne décident de le faire taire. Comment ont-ils deviné le contenu de son reportage ? Par quelle manipulation ont-ils pu savoir ce que Didier allait écrire ? Ce qui est grave dans cette affaire, c'est que les journalistes qui ont accusé Contant d'être un agent de la sécurité militaire n'ont même pas cherché à avoir une preuve pour étayer leurs accusations. Personne dans les rédactions françaises n'a respecté le principe de base du métier, à savoir la vérification des faits et des informations. Vous voulez dire que Didier Contant a été poussé au suicide ? Didier Contant a été poussé au suicide parce qu'il n'avait plus d'honneur, de dignité et de crédibilité. Il était ancien rédacteur de l'agence Gamma et avait une situation confortable. Il publiait ses reportages sans aucun problème dans de nombreux magazines, comme VSD, le Pèlerin, etc. et du jour au lendemain, il devient inacceptable dans toutes les rédactions. On le présente comme un journaliste qui travaille pour le compte des services secrets algériens, qui n'a pas de capacité professionnelle... Je ne sais pas ce qui s'est passé dans l'appartement de son amie, chez laquelle il s'est réfugié, ce qui est certain, c'est que cette dernière a fait de nombreux témoignages divergents lors de l'enquête devant l'unité antiterroriste. Lorsque j'ai relevé ces contradictions, la police m'a fait comprendre le contraire. Alors je ne peux espérer autre chose. L'affaire a été classée comme étant un suicide. Aujourd'hui, il est difficile pour les enquêteurs de revenir sur cette thèse. J'aurais pu déposer plainte contre cette femme pour non-assistance à personne en danger, mais mon avocat me l'a déconseillé pour me concentrer sur les circonstances de cette mort. Cette femme n'était pas à l'origine du décès de Contant qui, pour moi, est mort dans le cadre de l'exercice de ses fonctions. C'est ce qu'on appelle une mort suspecte. Selon vous, pourquoi l'information relative à votre combat et surtout votre plainte contre Jean-Baptiste Rivoire ont été timidement médiatisées ? J'ai moi-même transmis tous les documents qu'il faut pour permettre à l'information d'être diffusée par tous les médias français. Malheureusement, aucun mot n'a été publié. Le mot d'ordre a été donné dans les rédactions pour maintenir le black-out, sous peine de subir des représailles. Les partisans du « Qui tue qui ? » sont à tous les niveaux et partout. Ni le journal Le Monde, ni Libération, ni le Figaro Magazine, et encore moins Canal + n'ont voulu publier l'information. Les journalistes free-lance ne peuvent la médiatiser de peur de perdre leur gagne-pain. Ils sont maintenus dans une situation de précarité qui les laisse à la merci des responsables des rédactions. Ces cinq années de combat m'ont permis de mesurer à quel point le lobby du « Qui tue qui ? » est fort dans les milieux médiatiques français. Pensez-vous qu'il reste tout aussi fort qu'avant ? J'en suis même convaincue. Je sais maintenant comment ils créent d'une information banale, parfois même pas vérifiée, un événement majeur, avec une lecture unique, impossible à changer. C'est d'ailleurs le thème de la communication que je vais faire, cet après-midi (hier), au colloque international sur le terrorisme. Un événement important, mais je regrette que les journalistes français soient absents. Vous avez fait une enquête sur la mort de Didier Contant et vous l'avez publiée dans un livre intitulé Le huitième mort de Tibhirine. Comment cet ouvrage a été perçu en France, notamment par les partisans « du « Qui tue qui ? » ? L'information n'a pas circulé. Exceptionnels ont été les médias qui ont rendu publique la sortie de cet ouvrage. Malgré cela, j'ai de plus en plus de commandes et je crois que le livre fait son chemin. J'ai eu quand même une réaction de la part de Harmon Veilleux, publiée sur un site web, m'accusant d'être un agent de la sécurité militaire algérienne. Cela m'a fait rire. Il est quand même important de relever que la revue Golias a consacré 25 pages à l'affaire de Tibhirine, en publiant des témoignages sur Didier Contant très intéressants.