Rina Sherman, présente hier au séminaire international sur le terrorisme, a évoqué l'affaire Rivoire qui vient d'être mise en examen pour avoir commis des violences volontaires avec préméditation sur la personne de Didier Contant, journaliste décédé en février 2004, alors qu'il s'apprêtait à publier une enquête sur la mort des moines de Tibhirine. Dans cet entretien, la compagne de Didier Contant s'en prend au lobby des qui-tue-quistes en France et attend que justice soit faite. Liberté : Que signifie pour vous la mise en examen par la justice française du journaliste Jean-Baptiste Rivoire de Canal Plus dans l'affaire Contant ? Rina Sherman : Cela signifie tout simplement qu'au terme de l'instruction menée par le juge Patrick Ramael, il y aura un procès avec des audiences publiques et que M. Rivoire est mis en examen pour violence volontaire n'ayant pas entraîné une incapacité de travail. Autrement dit, il n'y a pas eu de violence physique, mais la violence préméditée morale est reconnue. C'est très important, après quatre ans de bataille que j'ai menée. Vous êtes à l'origine de cette plainte en justice ? Je me suis constituée effectivement partie civile. Il faut savoir qu'un bon nombre de journalistes devaient se joindre à moi. Au moment du passage à l'acte, il n'y avait plus personne. J'ai été emmenée à le faire toute seule. Qu'attendez-vous de ce procès ? Que justice soit faite tout simplement. Que les faits soient reconnus. Qu'on reconnaisse qu'il y a eu transgression, que nous n'étions plus dans une démarche journalistique. Je n'entends par là que les rumeurs qui ont été répandues et prises pour argent comptant par les analystes qui n'ont à aucun moment demandé à Jean-Baptiste Rivoire d'apporter la preuve de ses allégations. Il n'y en a eu aucun pour prendre la plume et dénoncer cela. Sauf le journal Marianne et le Goléas qui a fait un beau dossier en prenant le soin d'entendre toutes les parties. C'était une analyse de fond. Comment expliquez-vous cette attitude des médias français vis-à-vis du cas Contant ? Je pense qu'au niveau banal, chacun protégeait son boulot, sa prochaine pige et qu'au niveau secondaire, il y a eu des manipulations en série dont je ne connais pas tous les aboutissants. Un jour, on les connaîtra peut-être. Le lobby du “qui-tue-qui ?” est-il toujours puissant en France ? Moins qu'avant. Il y a notamment François Geses, le patron des éditions “La Découverte”, qui continue par le biais de la plate-forme d'Algeria Watch de publier des articles de propagande, toujours sans apporter la preuve de ce qu'il avance. Ce qui est extraordinaire, c'est qu'il présente sous forme journalistique des allégations qui ne sont pas accompagnées de preuves ou de travail en profondeur. Pourquoi la justice a tant tardé à ouvrir une instruction sur le suicide de votre compagnon ? Il y a eu une pré-enquête menée par la brigade antiterroriste qui a conclu hâtivement au suicide banal d'un individu qui avait pas mal de problèmes. Il faudrait leur poser la question. Moi, je l'ai fait et ils ne m'ont pas répondu. Quelle question ? Pourquoi ils ont conclu à un suicide, alors que la justice a procédé à une mise en examen ? Vous n'êtes personnellement pas convaincue de la thèse du suicide ? J'ai l'intime conviction que Didier Contant a été poussé par cette pression, cette campagne de rumeurs à se suicider. Il a été atteint dans sa dignité, son honneur et ses capacités professionnelles. Quand on a été le rédacteur en chef de la prestigieuse agence Gamma au moment de son sommet et qu'on a collaboré avec notamment le Figaro très confortablement avec des sujets profonds et variés et que du jour au lendemain, on n'est pas recevable dans aucune rédaction, il y a de quoi être déstabilisé. On l'a traité comme une double barbouze ayant harcelé l'épouse de Abdelkader Tigha. Alors qu'est-ce que vous voulez qu'il fasse de son corps, alors que de son esprit, il n'existe plus rien ? Contant, c'était quelqu'un qui a cherché et entendu les gens de tous les bords dans son enquête. Il ne se contentait pas de trouver des témoignages qui allaient dans un sens. C'est ça qui n'a pas plu. C'est le fait que c'était un véritable travail de journaliste. Didier était un journaliste de fond et un militant d'aucune cause. Dans votre quête de révéler au grand jour la vérité, vous avez souffert de la même solitude. Comment avez-vous vécu cette situation ? Dans le sillage de Didier Contant, je me suis retrouvée dans la même situation que lui. J'avais le choix de continuer toute seule ou de me taire. Pour moi, si je me taisais, je n'existais plus. Si l'on ne peut plus parler, s'exprimer librement, la vie n'a plus de sens. Vous êtes en train d'écrire un livre sur la liberté d'expression en France et du lobby “qui-tue-qui ?” Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ? Le projet de livre en préparation essaye de retracer l'évolution de la mentalité occidentale de cette frange de la gauche française qui a enfanté aujourd'hui la mentalité de “qui-tue-qui ?” À la fin de la Seconde Guerre mondiale et au début de la guerre froide, après le congrès de la liberté de la culture pour retracer exactement comment la mentalité de cette frange européenne a évolué pour avoir aujourd'hui ce levier de “qui-tue-qui ?” Comment, justement, ce clan a-t-il évolué ? Je suis au début de ma recherche, je ne peux pas vous donner toutes les clés maintenant. Il faudra attendre la sortie du livre qui, évidemment, représente un énorme travail. Mais, je pense qu'il y a eu une sorte de dressement d'une partie de la gauche pour contrecarrer le communisme qui, à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, était en position de devenir un pouvoir en France et en Italie, notamment. Que représente pour vous votre participation à ce colloque sur le terrorisme ? C'est heureusement pour moi la seconde fois que je viens en Algérie. Je suis venue en novembre dernier. Cela signifie pour moi une opportunité de liberté d'expression que je prends avec les deux mains. Entretien réalisé par nissa hammadi