Mustapha Abdelsadok avait du mal à annoncer la nouvelle hier au journal du 8h de la Chaîne III de la Radio nationale : « Mériem Yacine est décédée. » Sa voix était nouée par l'émotion, comme celle de la présentatrice du journal, Mahdia Salmi. Toute l'équipe de la Chaîne III était inquiète depuis au moins trois mois après l'hospitalisation de l'une des doyennes de la radio suite à une grave maladie. « La dame aux baskets », comme on la surnomme, ne traînait plus sa silhouette joviale au niveau 3 de l'immense bâtiment de la Radio algérienne au boulevard des Martyrs. Le blanc laissé par l'arrêt de la chronique de politique internationale qu'elle présentait entre les journaux du matin a été difficilement comblé. C'est que Mériem Yacine est irremplaçable. Sa parfaite maîtrise de l'actualité internationale, son sens de l'observation et sa capacité d'anticipation ont fait d'elle, au fil du temps, une des meilleures analystes du fait mondial. Mais Mériem Yacine aimait particulièrement l'Afrique où elle a fait plusieurs voyages, notamment au Sénégal et au Zimbabwe. Grand reporter, elle n'arrêtait pas de bouger à la découverte d'autres cultures. Avec Nassira Chérid, actuelle directrice de l'information, Farida Bekouche, établie en France, et Hassan Meftahi, présentateur des journaux de la mi-journée, elle a lancé, au début des années 1990, les premières éditions internationales de la Chaîne III. Une manière de s'ouvrir un peu plus sur le monde puisque l'habitude radiophonique était jusque-là de se concentrer sur l'actualité nationale. Mériem Yacine a également participé à l'élaboration et au lancement du journal africain. Ce journal est diffusé chaque jour à 18h et dirigé par Nacira Medjadel. L'idée d'inviter une personnalité pour une interview dans les éditions matinales d'information revient à elle. Un rendez-vous fort apprécié des auditeurs. Pour la radio, le taux d'audience est le plus élevé le matin, c'est une norme universelle. Avec « Mériem Yacine reçoit », la Chaîne III a fidélisé un certain nombre d'auditeurs. D'où le maintien du principe de l'émission, relancée avec « l'invité de la rédaction », présentée, pendant un temps, par Ghania Chérif, remplacée par Souhila El Hachemi. Mériem Yacine, qui a rejoint la radio en 1974, était un bouillon d'idées. Elle n'a pas hésité à en appliquer quelques-unes après sa nomination comme rédactrice en chef. Avec ses conseils et ses orientations, elle a formé une génération de reporters et de producteurs d'émissions d'information. Elle les a aidés à ne pas hésiter et à enlever la hantise du direct. « Elle adorait le terrain. Elle avait un dynamisme hors norme », se rappelle Mohsen Slimani, actuel directeur de Radio Algérie internationale (RAI), qu'il avait côtoyait lors de couvertures en Algérie et à l'étranger. Admise en retraite en 2003, elle est revenue à l'antenne, après avoir présenté pendant des années les éditions principales d'information, pour la chronique internationale. Captivant, le métier de journaliste ne tolère aucun arrêt ni aucune retraite. On est journaliste à vie ! « Femme émancipée, Mériem était une véritable artiste. Elle avait une manière particulière de s'habiller avec des bijoux berbères. Elle n'hésitait pas à donner de petites recettes de cuisine », témoigne Ghania Chérif. Nous avons rencontré Mériem Yacine, avant l'aggravation de sa maladie, dans le hall de la radio. Toujours souriante, elle nous avait parlé avec une rare passion d'une salade italienne faite à base de tomates et de basilic. Elle avait brossé un joli portrait, à la manière des peintres expressionnistes, des fleurs blanches de son petit jardin. La journaliste, fille de la famille Bachtoubdji d'Alger, avait ses manières raffinées de faire les choses et de les faire aimer. Jardiner et cuisiner sont les autres grands amours de Mériem Yacine. Elle avait aussi un intense attachement au Sud algérien qu'elle visitait souvent... Il y a tant de choses à raconter de Mériem Yacine qui est partie sans écrire ses mémoires. Quel dommage ! L'une des plus belles voix de la radio nationale s'est éteinte dans la nuit du lundi 24 mars. Mériem Yacine avait 65 ans. Sa fille, Maya, n'est pas la seule à la pleurer aujourd'hui. La journaliste a été enterrée hier au cimetière de Sidi M'hamed, dans le quartier populaire de Belcourt, à Alger.