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Djamel Ould Abbès au CRASC à Oran
Des harraga qui en ont gros sur le cœur témoignent
Publié dans El Watan le 07 - 04 - 2008

Au-delà d'une certaine émotion et des « autobiographies » relatées par des jeunes et des moins jeunes qui ont tenté l'expérience de l'émigration clandestine, une soixantaine de personnes réunies au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) à Oran se sont exprimées hier devant le ministre de la solidarité, Djamel Ould Abbès, dont certaines déclarations méritent l'attention.
« Nous voulons un travail avec un salaire de 30 000 DA mais ça ne sert à rien de travailler 3 mois dans un chantier et de chômer après », dira l'un d'eux pour mettre en avant « l'idée d'un travail stable et d'être assuré » car, estime-t-il encore, « les jeunes sont prêts à suivre le chantier là où il va, même au Sud ». Ce chiffre concernant ce niveau de rémunération a été repris dans le témoignage d'un autre « harrag » qui a affirmé : « Donnez-nous du travail avec un salaire de 30 000 DA et vous allez voir que personne n'ira risquer sa vie en mer. » La précarité de l'emploi comme l'est celui exprimé à travers le témoignage d'un pêcheur qui fait gagner, dit-il, à son patron 600 000 DA à chaque sortie mais qui ne lui donne en retour que 1000 DA a été dénoncée au même titre que les écarts de salaires comparés avec ceux des travailleurs étrangers. Concernant l'accès aux dispositifs initiés pour la résorption du chômage, c'est le fléau de la corruption qui est mis en avant. « J'ai passé des années à réunir les documents nécessaires pour bénéficier d'un crédit de ce type mais à une certaine étape quelqu'un a exigé que je lui glisse 45%, c'est inadmissible », déplore un intervenant devant le ministre. D'autres témoignent que les passe-droits n'épargnent pas le parcours de l'émigration, y compris à l'étranger où il faut payer pour passer. La stabilité de l'emploi aide à fixer les populations mais c'est sans doute l'apparition de nouvelles inégalités et les frustrations qu'elles engendrent qui bouleversent la donne. A ce propos, l'intervention d'un autre harrag menacé d'expulsion d'un modeste logement qu'il occupe est significative quand il lance : « Ils construisent des appartements dont le prix est fixé à 1,3 milliard de centimes », ce qui contraste avec le vécu de nombre des invités du Crasc qui ont déclaré vivre dans une « tôla », voilà une autre terminologie dérivée de « tôle » pour désigner les bidonvilles qui ceinturent les villes. Les raisons psychologiques invoquées par certains analystes pour expliquer un phénomène qu'on croit suicidaire sont importantes, mais on oublie souvent que le phénomène des harraga est né, avant tout, des difficultés d'accès au visa, car ils sont peut-être beaucoup plus nombreux les citoyens qui ont préféré vivre ailleurs ou du moins tenter l'aventure et parfois clandestinement après être entrés par des moyens légaux. Le phénomène apparaît nouveau suite aux drames survenus au large accentués par le mythe de la mer qui engloutit. Les harraga, du moins tel que cela ressort des témoignages, ne sont pas des aventuriers au sens occidental (donc individualiste) du terme. « Je veux bien vivre avec mes parents, mes voisins, les gens de mon quartier..., mais ''Llah Ghaleb'' », dira un intervenant marié, père d'une petite fille. « Si j'étais parvenu à atteindre mon but, mon ami déjà de l'autre côté m'aurait accueilli, il ne m'aurait jamais abandonné », ajoute-t-il, faisant apparaître l'idée que les liens de solidarité qui caractérisent la société ne sont pas encore rompus. Ainsi, malgré les signes d'impatience pour pouvoir à tout prix s'exprimer, la plupart des intervenants se sont montrés d'une grande sagesse dans leurs discours. « Nous savons que beaucoup de choses ont été promulguées par l'Etat et le président lui-même, mais nous ne voyons rien venir », constatent-ils. Le ministre, qui a dit représenter le président de la République et qui a déclaré venir surtout écouter les témoignages et les besoins, a considéré qu'il a été particulièrement sensibilisé à cette question grâce à l'émission diffusée sur l'ENTV et qui l'a ému. De 336 prétendants à l'émigration clandestine enregistrés par les gardes-côtes en 2005, on est passé, selon le ministre, à 1568 en 2007. Sur 712 expulsés d'Europe, 550 ont été pris en charge et, toujours selon le ministre, 9% ont refusé. En effet, lors de cette rencontre, des participants ont ouvertement exprimé un certain scepticisme. M. Ould Abbès a promis de faire en sorte que l'accès au crédit se fera sans intermédiaire. Il a annoncé à partir d'Oran que, en concertation avec le ministre de la Formation professionnelle, l'obligation d'avoir le niveau de fin de cycle moyen pour accéder à une formation sera abolie. Ceci pour permettre à ceux qui n'ont pas d'instruction d'accéder à un crédit pour lancer un projet. Mieux, il a annoncé que les prétendants à l'émigration clandestine mariés allaient bénéficier d'un traitement particulier par son ministère. Une liste a été ouverte sur place. Directrice du Crasc, Mme Rémaoun a annoncé en aparté que la recherche sur ce phénomène qui touche la société algérienne a été pris en compte dans cette institution universitaire où des groupes de recherches ont déjà entamé un travail académique sur le terrain. Le temps d'une matinée, ce lieu de savoir a été submergé par un foisonnement de témoignages.

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