« C'est l'objet qui a provoqué l'artiste, excité ses idées, mis en mouvement ses émotions. Qu'il le veuille ou non, l'homme est l'instrument de la nature, elle lui impose son caractère, son apparence… » Picasso Elle se livre sans façon au jeu du portrait. Elle, qui a l'habitude d'en faire avec des couleurs chaudes et chatoyantes, se trouve ainsi dans un rôle inhabituel. Elle converse tout en jetant des coups d'œil furtifs à ses tableaux déposés en désordre çà et là dans son local sur les hauteurs d'Alger. Des paysages bien de chez nous, des femmes bédouines en transe, des venelles sombres de La Casbah illuminées par le haïk blanc immaculé de nos mères. L'élégance audacieuse et le verbe facile, elle explique ses œuvres et les mutations qui ont jalonné sa carrière. Artiste peintre plasticienne, psychothérapeute, Mira Naporowska, d'origine polonaise, vit en Algérie depuis 30 ans. Fascinée par la beauté des paysages et les traditions locales, Mira, après une période consacrée à l'abstrait, s'est offert d'autres styles qui ont enrichi son répertoire pour en faire l'une des représentantes les plus en vue de l'art pictural algérien. Belle, femme attachante, elle est attentive aux autres et n'hésite pas, lorsque les circonstances l'exigent, à aller mettre son art au service des autres, particulièrement les gens marqués par les vicissitudes de la vie. Les inondations de Bab El Oued, elle y était. Le téléthon aussi… L'entame a été quelque peu laborieuse. Elle respire, se déverrouille, prend une toile à sa portée pour nous dire le côté positif de la technique du couteau qu'elle a adoptée depuis peu. « Pourtant, avant je n'étais nullement attirée par ce procédé. Aujourd'hui, je n'ai aucun complexe à l'utiliser », raconte-t-elle d'un air amusé. Un esprit critique aiguisé Ses proches décrivent un esprit critique aiguisé, un humour parfois mordant, mais toujours à l'écoute de son temps. Avec son fils aîné Karim, la trentaine, dévoré lui aussi par la passion du dessin, la complicité est complète. Mira est née en 1957 à Poznan en Pologne, non loin de la frontière avec l'Allemagne. C'est dans cette ville qu'elle effectuera toutes ses études, couronnées par une formation aux beaux arts. Comment en est-elle arrivée là ? « Le système scolaire filtrant chez nous aboutit à une sélection naturelle des enfants en fonction de leurs capacités intrinsèques. Ils sont ainsi orientés dès leur jeune âge. Déjà, à partir de la cinquième année, chacun connaît sa trajectoire future. Moi, j'avais le profil plastique dès le primaire », fait-elle savoir non sans préciser que sa ville natale est connue pour être un vivier d'artistes. « Les plus grands peintres sont issus de cette métropole, dont la réputation en la matière a dépassé nos frontières. » Mira se souvient qu'elle n'a pas été forcément influencée par son père Yan, « un gars besogneux, activiste social et culturel, maire de notre contrée qui s'occupait de tout et de rien et trouvait même le temps d'organiser les petits théâtres. On était quatre enfants à la maison. J'étais la préférée de mon papa qui me dispensait des travaux domestiques pour me permettre de m'adonner à ma passion, le dessin ». A 20 ans, son destin croise à Poznan un enfant de La Casbah, Mohamed, parti là-bas compléter sa formation de physicien. Le mariage est consommé et de cette union naîtra Karim. En 1978, la petite famille s'installe en Algérie et depuis elle ne quittera plus le pays. « Les débuts ont été assez difficiles, mais je me suis accrochée en apprenant à connaître un nouveau pays, une autre mentalité et un mode de vie différent. J'ai été impressionnée par les femmes en haïk. Aujourd'hui, elles me manquent, parce qu'il n'y en a pratiquement plus », regrette-t-elle. Son activité quotidienne se limitait très exactement à ce qui lui faisait plaisir : élever ses enfants et assumer pleinement son rôle de mère. Quand elle replonge dans le passé, son regard part dans le vague. « Il y a 30 ans, les gens étaient plus propres, plus souriants, plus calmes, plus accueillants », se souvient-elle avant de relever que les Algériens sont passés depuis par des périodes tourmentées et dramatiques qui les ont certainement fragilisés. Ils se sont recroquevillés sur eux-mêmes et sont devenus plus agressifs, moins tolérants. Une quête d'identité « Devant cette situation, il m'est arrivé de me poser une foultitude de questions dans une quête identitaire continue. Cela m'a coûté énormément d'efforts sur moi-même. » Puis, est venue la peinture. Comme ça, sans crier gare. « A la naissance de mon deuxième enfant, je veillais à ses côtés le soir et mes nuits blanches, je les meublais en sortant mes vieux outils. J'ai commencé à peindre avec des pinceaux de maquillage. Je me sentais mieux. C'était le pont que je cherchais. Une sorte de thérapie. Maman, ayant des responsabilités, j'avais un autre regard accompli par rapport au pays, aux traditions. » Cette quête de l'absolu, cette recherche sans cesse renouvelée sont sans doute à l'origine de sa première œuvre, tournant autour des compositions d'ADN et symbolisant la création du monde. Elle avait franchi le pas. D'autres travaux ont suivi qui lui mettront franchement le pied à l'étrier. « J'ai eu un déclic après la naissance de Sofiane. Je voguais dans le surréalisme. Je parlais dans mes toiles de mon monde intérieur, comme un journal intime, dans un contexte hostile avec la fameuse décennie noire. » Subitement, elle quitte ce masque chaleureux. C'est dans cette atmosphère qu'elle décida de changer son fusil d'épaule, en optant pour des styles réalistes. « J'ai voulu montrer une image positive de l'Algérie, sa beauté et la splendeur de ses paysages. » Mira avouera qu'elle a des attaches très sentimentales avec La Casbah, qui a besoin d'être restaurée. C'est pourquoi la vieille citadelle revient souvent dans ses peintures avec sa touche personnelle tendre et suggestive. Un jour, lors d'une exposition, Momo l'apostropha avec cette remarque, qui, en fait, est un compliment : « Madame, je suis impressionné par vos tableaux qui sont très bavards. » Mira a apprécié en se fendant d'un rire franc et communicatif. Même réflexion de l'écrivain Bouali qui a relevé l'intimité de sa collection exposée à Tlemcen. Son implication dans le milieu pictural algérien s'est faite sans heurts. « Même si au départ certains me voyant venir avec mes gaucheries se demandaient jusqu'où je pouvais aller. » Mais sa satisfaction première aura été son contact ave le public et, notamment, les étudiants des beaux-arts, peu coutumiers de l'abstrait et qui l'assaillirent de questions. Elle y fit front avec beaucoup de tact. Modeste, elle ne déclinera jamais ses qualifications en faisant croire qu'elle est autodidacte. « De toute manière, soutient-elle, en dernier ressort ce n'est pas le diplôme qui compte, mais le travail. » Un boom créatif Elle se félicite du « boom » créatif et des jeunes qui émergent. « La société a besoin d'eux. Ils doivent rendre compte des évolutions pour pérenniser le patrimoine culturel. Seulement, il faut prendre soin de cette productivité. Cette explosion est très fructueuse. Si on donne aux jeunes artistes les moyens adéquats, c'est-à-dire les espaces, les ateliers, les galeries, le résultat sera meilleur », suggère-t-elle. Mira, qui a pris le parti de rester en Algérie, avoue qu'elle a des liens de sang avec ce pays. « Mes enfants aussi ont fait le choix de ne partir nulle part. » L'artiste vit à Alger depuis une trentaine d'années. Les changements et mutations économiques ont créé un chamboulement, mais le niveau de vie est meilleur. Il faut s'habituer à cette rapidité et donner le temps aux esprits d'accepter les changements. Pour citer mon exemple, j'ai mis des années pour bien me sentir ici. Certes, on ne peut réaliser tous ses rêves, mais on peut s'en approcher. » La décennie noire ? Le chapitre est clos, indiquent ses yeux. Quant à la vague de religiosité, qui s'empare du monde, elle pense que c'est un phénomène global. « Voyez la Pologne où la religion a nettement déteint sur la politique. On était laïcs, maintenant on veut se monter plus chrétiens que les chrétiens. » De toute manière, ce n'est pas son rayon. Elle vit sa foi en toute intimité. Elle retournera tout à l'heure à son chevalet pour d'autres créations. Ses expositions, dont certaines ont fait date, lui ont valu des distinctions et des hommages appuyés. « Cela ne me grise pas, mais m'encourage. » C'est dit poliment avec les formes. Une véritable artiste ! PARCOURS Mira Naporowska, née à Poznan en 1957, vit en Algérie depuis 30 ans. Diplômée de l'Ecole d'arts de Poznan (Pologne), elle est de formation psychothérapeute. A son actif, de nombreuses expositions en Algérie et en Pologne. Lauréate de plusieurs distinctions, dont les prix d'encouragement des villes d'Alger et de Poznan, l'artiste a aussi illustré des livres dont le recueil en poésie de Ewa Asma intitulé Kontrasty. Ses travaux sont représentés dans une trentaine de pays, entre autres, l'Australie, le Brésil, le Canada, le Mexique, le Japon, la Corée, en Europe et même en Afrique du Sud.