Le cinéma français du XXe siècle fourmille de réalisateurs désormais tombés dans un oubli total à l'image de André Hugon, René Le Hénaff, Léonce Perret, Leo Joannon, Jacques de Barocelli, Pierre-Jean Ducis, Vicky Ivernel ou Robert Boudrioz, pour ne citer que ceux-là tant le cercle de ces cinéastes disparus est large. Parmi eux figure aussi un réalisateur absolument emblématique du cinéma français des années 30 à 40 du XXe siècle, mais dont plus personne ne garde aujourd'hui le souvenir. Il s'agit d'Yves Mirande (1875-1957), pseudonyme d'Anatole Le Querrec, qui fut un touche-à-tout particulièrement prolifique. Homme de cinéma et de théâtre, adaptateur, dialoguiste, scénariste, producteur, acteur, écrivain, Yves Mirande a lié son nom à plus d'une centaine de films. Il était le tenant de cette veine populaire si fortement décriée par les cinéastes qui constituèrent la nouvelle vague française sans éviter eux-mêmes, par la suite, de faire absolument ce qu'ils avaient reproché à leurs aînés. Ce n'étaient pas les Jean Renoir, Marcel Carné et autres Jean Vigo, qui étaient contestés par Godard et Truffaut, mais bien cette école jusqu'alors incarnée par Henri Decoin, Maurice Labro, Maurice Cloche, Jean Boyer et bien sûr aussi Yves Mirande assimilé à ce classicisme outré que des jeunes loups comme Claude Chabrol descendaient en flammes. Il s'agissait pourtant d'un cinéma de bonne facture et conforme aux canons esthétiques de l'époque. L'œuvre d'Yves Mirande est en partie revisitée par Le cinéma de minuit qui a diffusé son film Paris-New York, une comédie dont le caractère boulevardier révèle l'attachement du cinéaste au théâtre de Labiche et de Courteline qui étaient ses référents. Yves Mirande cultivait l'esprit de dérision à un autre niveau que celui de son contemporain Sacha Guitry, mais avec une efficacité redoutable dans l'étalage des répliques cinglantes ou à double entente. C'est à l'évidence un cinéaste qui n'a jamais eu la prétention de provoquer une révolution avec ses films qui étaient d'abord des divertissements dont le public d'alors était friand. Yves Mirande a réalisé une quinzaine de films dont les plus connus, avec Paris-New York, restent Derrière la façade, Café de Paris ou Baccara qui a pu rappeler au public de l'époque l'affaire Stavisky, un scandale qui avait défrayé la chronique politico-financière. Stavisky était cet escroc « suicidé » de deux balles tirées à bout portant. On distingue chez Yves Mirande cette formidable capacité de travail qui lui permettait de conduire plusieurs projets en même temps. Il était resté fidèle à des acteurs charismatiques tels que Jules Berry et Michel Simon qu'il avait distribués dans presque tous ses films. Il est remarquable que ce cinéaste est en fait tombé dans l'oubli au même titre que d'autres réalisateurs de sa génération et pas seulement ceux de son pays car qui évoque encore les Poudovkine, Guerassimov, Cavalcanti, Carmine Gallone. Fort heureusement, c'est au sein même du cinéma que la mémoire des devanciers n'est jamais défaillante comme le prouve l'exemple de Quentin Tarantino qui a déclaré au cinéaste français Georges Lautner qu'il avait eu le désir de faire du cinéma après avoir vu La route de Salinas tourné alors que le réalisateur américain venait de naître. C'était, précisera Georges Lautner, dans l'émission de Frédéric Taddéi, Ce soir ou jamais. Ce qui prime alors dans le cinéma c'est ce continuum qui fait que la transition entre les générations peut se faire dans la reconnaissance et non dans un déni qui est une forme de repli aveugle et sourd. La culture cinématographique, si elle a une vocation, c'est celle de donner aux jeunes cinéphiles le goût de l'exploration dans l'univers de cinéastes dont les œuvres ne sont pas effacées du fait de leur disparition physique. C'est le rôle, en Algérie, d'institutions comme la cinémathèque nationale, les réseaux de cinéclubs à conforter, de chaînes thématiques qui doivent aussi émerger à la télévision. C'est une responsabilité énorme que de ne pas permettre aux jeunes publics d'aller à la rencontre de grands classiques comme Dovjenko, Miklos Jancso ou Glauber Rocha. C'est aussi valable pour des œuvres désormais méconnues du cinéma algérien comme L'homme qui regardait les fenêtres de Merzak Allouache ou Rose de sable de Rachid Benhadj. L'offre culturelle ne peut en effet pas être cloisonnée aux exigences de la rentabilité immédiate car la diffusion, en salles ou à la télévision, relève de missions éminentes de service public. Et il s'agit aussi de ne pas faire l'impasse sur les productions les plus récentes dont le public a également besoin. A travers le seul exemple d'Yves Mirande, c'est tout un état d'esprit sur la gestion de patrimoines qui appartiennent à la culture universelle.