Dans leur course effrénée vers la pêche aux voix, des députés français se sont substitués, le temps d'un vote, aux historiens, et contrairement à ces derniers, ils ont troqué la rigueur scientifique contre la morale. Ils ont utilisé l'actualité d'aujourd'hui pour revisiter le passé. Ils ont, pour citer le président A. Bouteflika, fait preuve « d'une cécité mentale » en soutenant la déjà controversée loi du 23 février 2005 « flanquée » de l'article 4 qui stipule que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». Si cette attitude est dictée par des raisons partisanes et électoralistes, elle ne résiste, cependant pas, à l'analyse froide, objective. Rappelons donc « à ces belles âmes », comme aurait dit J.P. Sartre, que la conquête de l'Algérie n'a jamais été la conséquence de la folklorique image « du coup d'éventail », mais une vision ayant traversé l'esprit de Napoléon en route vers la campagne d'Egypte, réfléchie par Charles X, protecteur de Victor Hugo et exécutée dans des bains de sang par l'armée française, à sa tête le plus célèbre soldat, Thomas Robert Bugeaud, Duc de la piconnerie. Ajoutant au palmarès de ce duc, 3 barons, 2 marquis, 12 comtes, 2 maréchaux, 37 généraux et afin d'alléger la charge, faisons l'impasse sur les centaines de bataillons qui, eux aussi, contribuèrent au rôle positif de leur pays en multipliant les charniers. Faut-il encore citer les adversaires des héritiers de l'Emir, qui à l'aube d'un mois de novembre 1954, durent libérer l'Algérie par les armes ? Cette loi simpliste, au demeurant schématique réduit l'image du résistant algérien à une espèce de « barbare » comme d'ailleurs les images d'hier réalisées par les cinéastes français de 1895, date de l'apparition du cinématographe jusqu'à la veille de mars 1962 date du cessez-le-feu . Comment qualifier ces millions de kilomètres de pellicules impressionnées d'abord sur le nitrate, ensuite en totalvision durant toute cette période ? De la contribution idéologique à la colonisation, au même titre que les dessinateurs et fusainistes qui côtoyèrent les troupes du général Eugène Cavaignac sans oublier la riche bibliothèque des écrivains anthropologues du XIXe siècle. Car loin d'être positive, la colonisation française, à travers ces images, constitue une négation d'un peuple et d'un pays. Elle consacre un héros, le colon travailleur, capable d'assécher des marécages. Elle élève sur l'autel du sacrifice le légionnaire au képi blanc. Elle berce d'illusions fugaces le métropolitain fatigué des brumes de l'Occident en racontant des légendes telle l'Atlantide. Elle réduit l'Algérie au triptyque : soleil, désert et palmier, un pays de cocagne. Mais elle nie totalement l'Algérien et sa culture, l'Algérien et sa résistance. Quel est donc ce cinéaste français qui a osé mettre en scène les enfumades des tribus de l'Ouarsenis, le refus de la conscription obligatoire par les Beni Chougrane sur les monts de Mascara et dans les Aurès ? Où trouver les images de la participation des Algériens à la libération de l'Europe, sur les bords de la Marne, à Monte Casino ? Elles n'existent pas, car elles n'ont jamais été tournées. Elles ont été scotomisées et remplacées par celles des beaux légionnaires (le Grand jeu de Jacques Feyder, la Bandera de Julien Duvivier), des méharistes et spahis, ( l'Espadon blanc d'Augusto Génia), des mauvais garçons et des femmes fatales (Pépé le moko de J. Duvivier), des cœurs de palmiers (Visages voilés et âmes closes de Henry Roussel), Le Fils de la nuit de Georges Bourgeois, Dans l'ombre du harem de Léon Mathot et André Liabel, etc., bandes qui relèvent du bazar et signées par des réalisateurs consacrés comme Marcel L'herbier, J.P Le Chanois, Jacques Feyder ou Jean Renoir, qui s'est illustré par le Bled, une commande de l'Etat français destinée à commémorer le centenaire de la colonisation française en Algérie par l'évocation du débarquement de 1830 à Sidi Fredj. Elloquent. Si l'objectivité nous commande de restituer toutes ces images dans leur contexte pour en comprendre tous les sens, elle nous commande aussi de retenir l'exclusion de l'Algérien de cette cinématographie derrière et devant la caméra. Sa participation ce résume à une peau de chagrin ; la voici : 1 réalisateur, Tahar Hannache, auteur Des Plongeurs du désert, un court métrage de 32 minutes, en 1952, 1 acteur Momo, 2 musiciens, M. Scandrani, auteur de la musique d'un mélo américain intitulé Cheval de bois de Jack Lee, réalisé en 1952 et Iguerbouchène pour Pépé le moko de Julien Duvivier, tourné dans La Casbah en 1936. Cet inventaire d'images provisoires et partielles n'existe dans aucun ouvrage scolaire. C'est à l'historien de l'expliquer et non pas au politique de le réécrire ou de le moraliser.