Aïn Boucif. 158 km au sud d'Alger. Une ville de 34 000 habitants qui compte cinq communes et qui se trouve à l'orée de la wilaya de Djelfa, à quelque 80 km de Médéa. Comme Tablat, Berrouaghia et les autres agglomérations du Titteri, Aïn Boucif a été la destination d'un exode massif dans les années 1990 pour fuir la grosse terreur qui sévissait dans les campagnes. « Il y a eu des douars de la région qui se sont carrément vidés de leur population », affirme un élu RND. « Aujourd'hui, c'est le chômage qui pousse les gens à partir. Celui qui consent à végéter dans un bidonville à Gué de Constantine ou ailleurs, c'est qu'il veut travailler coûte que coûte », note Abdelkader Nedjaoui, président d'une association culturelle. Affable et généreux, Abdelkader milite avec son association El Achir pour la promotion du chant et de la danse populaires. Il connaît la région pierre par pierre. Cette région des Hauts-Plateaux est fière. Mais nue. Pas de pôle industriel ni même agricole. « Ici, l'hiver est rigoureux. Il n'est pas rare qu'il neige. De plus, le givre ne permet pas à l'agriculture de prospérer. Aïn Boucif est à 1280 m d'altitude », dit Abdelkader. Kef Lakhdar est l'une des cinq communes que compte la daïra de Aïn Boucif. Distante de 14 km de celle-ci, c'est une commune complètement déshéritée. Pour s'y rendre, les habitants des hameaux alentours doivent se parquer à l'arrière d'une 404 bâchée faisant office de taxi collectif à 20 DA la place. La commune de Kef Lakhdar était peuplée de 4000 habitants, selon le RGPH 1998. Aujourd'hui, on ne sait pas exactement dans quel sens a évolué sa structure démographique. « La commune est constituée de sept fractions. L'une de ces fractions, celle des Ouled Yahia, a été totalement vidée de ses habitants. Elle comptait 70 familles. Toutes ont été touchées par le terrorisme. Elles sont parties s'installer dans la Mitidja », dit le secrétaire général de l'APC, Mohamed Mouzeghrit. La commune de Kef Lakhdar s'évertue à offrir les conditions d'un Smig social par la réhabilitation des axes routiers et du réseau AEP en tirant bénéfice du programme spécial des Hauts-Plateaux. Un parc de logements sociaux et des micro-crédits sont mobilisés pour retenir les candidats potentiels à l'exode. Mais ces efforts sont manifestement insuffisants. « Le chômage demeure élevé », dit le secrétaire général. M. Mouzeghrit affirme que la commune devait accueillir un projet de réalisation d'une briqueterie, la région étant réputée pour la haute qualité de sa glaise. « Mais les investissements n'ont pas suivi », regrette le SG qui espère voir un tel projet prendre pied pour générer de l'emploi et sédentariser les jeunes. Douar recrute prof de français A quelques encablures du chef-lieu de la commune, un petit douar est adossé à la montagne de Kef Lakhdar. C'est le douar des Ouled Abdelwahab. « Ce douar comptait 54 familles. 20% d'entre elles au moins ne sont pas revenues à ce jour », dit Mohamed Chenchen, un habitant du douar. « Moi-même j'ai dû quitter le village en 1997. Il y a eu une attaque terroriste non loin de là, au douar Ouled Aïssa, alors tout le village s'est vidé. Je suis parti me réfugier à Aïn Boucif. Beaucoup ont dû brader leur cheptel », Mohamed est un peu le vigile du village. Il a rejoint très tôt le corps des patriotes. « Nous sommes une dizaine de patriotes qui veillons sur la sécurité du douar », dit-il. « Nous manquons de tout ici, à commencer par la route », dit Mohamed. Lui-même ne gagne qu'une maigre solde de 11 000 DA et sans couverture sociale. La région est dédiée entièrement à la céréaliculture. Mais la récolte n'est pas fameuse cette année, car la terre a soif. Mohamed a pu se construire une bicoque grâce à l'aide de l'Etat. « Mais 50 millions restent une somme dérisoire par rapport aux prix des matériaux de construction. De plus, ils nous obligent à entamer les travaux à nos frais avant de percevoir la première tranche. L'aide nous parvient par paliers et celui qui n'a pas les moyens de lancer sa plate-forme, il est cuit », dit Mohamed. Concernant la scolarité des enfants, le douar dispose d'une classe. « Nous avons transformé le logement réservé aux instituteurs en salle de cours », dit Mohamed qui attire notre attention sur le déficit de l'encadrement pédagogique. « Nous n'avons que trois instituteurs. L'un d'eux est mon propre frère. Nous avons un sérieux problème : nous n'avons pas de prof de français », déplore-t-il. Mohamed regarde ses enfants jouer et lance : « Moi, j'ai grandi loin de la télé et du téléphone portable. Aujourd'hui, avec la parabole, nos enfants sont au courant de tout. Ils voient comment vivent les autres peuples et aspirent forcément à mieux. Il faut leur assurer le minimum si on veut les retenir ici. »