Journée noire hier avec la série de manifestations-émeutes sur fond de violence et de répression policière qui a touché plusieurs villes du pays. Des scènes devenues le lot quotidien des Algériens qui réinvestissent la rue sans l'avoir vraiment jamais quittée tout en innovant toujours de manière plus dramatique encore, dans les méthodes de protestation dans l'espoir de se faire entendre. Telle cette image insoutenable qui nous vient de la Kabylie, de Tizi Ouzou, montrant des jeunes, au bord du désespoir, le corps ruisselant de sang en se mutilant pour attirer l'attention des autorités locales sur une opération de distribution de locaux commerciaux qui a tourné à l'émeute. Comme si le phénomène des harraga ne suffisait pas à lui seul pour rendre compte de la détresse innommable de la jeunesse algérienne pour laquelle la mort peut être synonyme de vie et de délivrance d'un vécu devenu lourd à porter et à supporter. Comme si ces corps inertes de jeunes rejetés par la mer ne sont pas porteurs d'un message politique fort à l'adresse des hauts responsables du pays. Les suicides, surtout des jeunes, qui ont atteint des proportions alarmantes ces dernières années sont versés au registre des faits divers. Et pourtant, tous ces citoyens structurés dans des organisations socioprofessionnelles, à l'instar des syndicats autonomes de la fonction publique ou agissant à titre individuel, ne demandent pas l'impossible. Ils ne cherchent pas à prendre le pouvoir ou à déstabiliser qui que ce soit. Ils ne revendiquent qu'une chose simple et facile à réaliser : une écoute sincère, y compris ou surtout dans les moments difficiles, de la part des autorités qui doivent avoir le courage politique d'affronter la colère des citoyens en allant vers eux, en ouvrant un dialogue permanent, sans a priori, animés de la seule volonté de parvenir à des solutions rapides et acceptées par tous. C'est dans la nature humaine : les crises se nourrissent de l'indifférence et du déficit en matière d'écoute et de dialogue social entre citoyens et responsables. Plus une grève, une manifestation, un mouvement social, d'une manière générale, s'installe dans la durée dans la société, plus éloignées seront les chances de déboucher rapidement sur une solution négociée. La haine, le désespoir, la rupture de la confiance qui constitue le socle de la vie en société trouvent un terreau favorable dans les situations de crise et de confrontation où la matraque et le dialogue par l'émeute et la rue sont élevés au rang de vertus. L'Algérie est sans doute le seul pays au monde où on sait quand va éclater un conflit social comme la crise qui secoue le secteur de l'éducation mais jamais quand il prendra fin. Des crises qui s'échelonnent sur plusieurs mois, voire des années, cela n'existe nulle part ailleurs ! Dans les pays civilisés, on l'a vu, lorsqu' éclate un conflit social, il ne dure pas plus d'une semaine. Un dialogue est alors vite ouvert entre toutes les parties concernées : gouvernement, partenaires sociaux, protestataires. Parce qu'ils ont des comptes à rendre à leurs sociétés, les gouvernements n'éprouvent aucune honte ni embarras à faire machine arrière en retirant un projet contesté, des mesures jugées impopulaires, pour aller dans le sens des revendications de la société.