L'être humain qui serait, selon certaines définitions, « la créature la plus inconsciente de notre planète » se plaît, dans ses moments de colère, à répéter qu'il est toujours prêt à donner « un coup de pied dans la fourmilière » comme si celle-ci était l'exemple par excellence de tout ce qui est désordonné, désorganisé. Or, la fourmi, cette ouvrière, si acharnée, si batailleuse et jalouse de ses biens comme de son identité, met à bat la forfanterie de l'homme en se révélant, dans son petit monde, aussi importante qu'une galaxie en ce sens que l'infiniment petit ou l'infiniment grand remplissent toujours la même fonction, celle de la vie tout simplement. Qu'il soit formé à l'aune de la rationalité ou soumis à ses premiers instincts, qu'il dialogue large avec la nature ou qu'il s'en détourne, l'homme tiendrait, malgré lui, œuvre ouverte avec la fourmi. Depuis le prophète Salomon, Xe siècle avant Jésus-Christ, en passant par Ali, quatrième calife du premier Etat musulman, jusqu'au prix Nobel de littérature, Maurice Maeterlinck (1862-1949), c'est donc le même intérêt que l'on voit porté à la fourmi en tant que créature qui serait, par certains aspects, l'alter ego de l'être humain. Un jour qu'il s'apprêtait à traverser une rivière à la tête de son armée, Salomon, selon le Saint Coran, entendit une fourmi battre le rappel de ses congénères en les exhortant à se réfugier dans leurs habitations souterraines pour ne pas se faire écraser par les soldats. Aussitôt, il rendit grâce au Créateur qui l'avait pourvu du pouvoir d'être à l'écoute d'une fourmi et de comprendre son langage. Dans un texte d'une grande finesse, le quatrième calife du premier Etat musulman se fait, indirectement, entomologiste, en invitant son lecteur à bien considérer cette petite créature, aussi bien dans ses déhanchements corporels que dans ses déambulations ou dans sa manière d'évoluer, avec une précision mathématique, dans un espace aussi réduit que son logis. La fourmi est aussi superbement organisée que ces milliers d'oiseaux qui prennent leur envol en même temps sans qu'il y ait le moindre frottement d'ailes entre eux, car tout « est bien détaillé et incompréhensible à la fois » dans le monde des insectes et des volatiles qui, en d'autres termes, obéit à un programme précis depuis le commencement des temps. Certes oui, il y eut quelques déclarations intempestives où il fut question de réduire la fourmi à sa plus simple expression, c'est-à-dire un simple insecte qui ne pourrait rien apporter à l'homme. Jean Jacques Rousseau, à titre exemple, s'était hasardé à écrire que les hommes n'étaient pas faits « pour être entassés en fourmilières ». Certains politiciens occidentaux, de leur côté, avaient mis en garde contre l'arrivée des Chinois sur la scène internationale en les qualifiant de « fourmis jaunes ». Pourtant, en 1930, le grand dramaturge belge, Maurice Maeterlinck, avait publié sa grande enquête entomologique sur « Le monde des fourmis », renouant ainsi avec la tradition religieuse et scientifique qui a toujours fait de la fourmi une donneuse de leçons à l'être humain. A l'échelle moléculaire, atomique ou cosmique, on ne peut que répéter, à la suite du poète Louis Aragon : « Fourmis, fourmis, comment ne vous émerveilleriez-vous pas de la gloire de Dieu dont vous êtes un vivant témoignage ? »