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La fougue du veillard
Publié dans Liberté le 24 - 01 - 2009

Si Athmane était un vieillard capricieux, et doté d'un caractère des plus acerbes. Sa femme Melha, faisait son possible pour éviter ses colères orageuses et ses sautes d'humeur qui étaient légion. Après 25 ans de mariage, elle n'arrivait toujours pas à comprendre cet homme qui pouvait passer d'un état d'âme à un autre sans crier gare. Ce qui provoquait parfois de terribles conflits familiaux qui se terminaient souvent par des disputes et des ruptures à long terme. Bref ! si Athmane n'en faisait qu'à sa tête, et même ses propres enfants ne le supportaient plus. L'aîné qui été déjà marié et père de deux enfants, avait préféré quitter le toit familial pour s'éloigner de ce père, qui avec l'âge devenait insupportable. Il ne restait d'ailleurs à la maison que Omar le dernier des garçons et Saliha la benjamine. Les autres, c'est à dire Ali et Akli, étaient, l'un au service National et l'autre en France depuis déjà 2 ans. Si bien que Malha reprochait souvent à son mari d'avoir "vider" la maison et éloigner les enfants, qui ne pouvaient plus le tolérer. Mais, Si athmane, ne faisait que ce qui lui plaisait sans égard ni pour sa famille ni pour ses voisins ni même pour le village. D'ailleurs, depuis quelques temps ce vieillard qui s'enorgueillit d'avoir combattu l'Allemagne et d'avoir gagner de beaux galons, émettait le désir de se remarier.
"Ma femme se fait vieille”, disait-il. Elle arrive à peine à entretenir la maison. Il me faut une femme plus jeune et plus robuste qui pourrait s'occuper de moi, et pourquoi pas me donner d'autres enfants qui hériteraient de mes biens, qui, j'en suis certain, seront dilapidés si je venais à crever .
"Mais tu as déjà une femme et des enfants qui hériteraient de tes biens à ta mort”, lui dit-on.
"Que le diable les emporte, ces enfants, et cette sorcière que j'ai pour femme. Ils n'attendent que çà. Ils veulent me mettre dans un asile de fous et profiter de ma fortune. Je jure sur tous les saints de la région qu'ils n'auront rien."
Si Athmane était tenace et il proposa à sa sœur Laldja de lui trouver une jeune fille qui pourrait faire une bonne femme au foyer, une bonne épouse et une bonne mère.
- "Tu sais quel âge tu as ? lui dit Laldja. Je crois bien qu'à la prochaine cueillette des olives tu fêteras tes 78 ans et puis, quelle honte pour toi qui es déjà grand-père".
- "Et alors,.réplique si Athmane tu veux me condamner à la solitude . Tu veux que je termine mes vieux jours devant le kanoun comme un vulgaire mendiant ? Moi je me sens plus jeune que jamais et prêt à fonder une nouvelle famille. Faits ce que je te dis, et dès demain, engage la procédure habituelle pour demander la fille de Amar le charbonnier. Elle me plaît avec sa petite frimousse et ses longs cheveux blonds.
- "Mais .tu perds la raison mon pauvre frère. Cette fille est à peine puberte . Elle n'a même pas 14 ans ! ".
- "De quoi je me mêle. Son père consentira bien à la marier un jour. Pourquoi pas à moi. Je suis tout de même un homme non ? Allez, assez parloter. Demain tu iras demander la main de cette fille. Nous verrons pour les préparatifs. Ecoutes, dis lui surtout que le mariage doit avoir lieu rapidement À mon âge, on n'attend plus"
Aldja connaissant son père se retint de commentaires. Elle se rendit dés le petit matin chez les Ait Oughliss pour demander la main de leur fille Baya. Amar, le vieux père était allongé sur une natte, et H'djila sa femme préparait du café. Laldja qui ne savait pas par quoi commencer consentit à prendre une tasse d'amitié avec les deux braves gens qui ne se doutaient de rien.
Laldja usa de tout son savoir faire, et de toute sa finesse féminine pour faire sa demande en mariage. Le charbonnier, tout d'abord surpris, écarquilla les yeux, puis se leva et pris quelques outils qu'il jeta dans un carton avant de se diriger vers la sortie sans un mot, ni un geste. H'djila, elle, embarrassée, et bien gênée, proposa une autre tasse de café à Laldja qui refusa poliment.
- "Apparemment ton mari n'est pas content dit – elle, je sais que ma demande est étrange ; mais tu connais Athmane quand il veut quelque chose………".
- "Na Laldja.dit H'djila ; on se connaît depuis toujours et je crois que nos deux familles n'ont jamais eu à s'affronter pour quoi que ce soit. Certes vous êtes riches et puissants, et nous pauvres et malheureux, mais grâce à dieu, nous n'avons jamais eu de différends, bien au contraire, nous étions comme des frères et sœurs et nous avions toujours vécu dans une complète harmonie de voisinage et de gens du même village. Mais de là à accorder la main d'une fille à peine sortie de l'enfance à un vieillard aussi sec que ton frère,.cela est inadmissible. Au moins, si c'était pour Ali ou Akli, j'aurai poussé mon you–you le plus strident. Tu comprends Na Laldja, son père ne voulait pas te choquer. Il a préféré sortir en refoulant sa colère."
- Je comprends, dit Laldja, en se levant et .je ne vous en veux pas. Mon fou de frère n'a qu'à chercher ailleurs. J'en ai marre de ses caprices.
Laldja revint à la maison bredouille. Si Athmane apprenant le refus des parents de Baya, entra dans une colère folle, et cassa toute la vaisselle se trouvant à sa portée.
Quelques jours plus tard, il décide de passer lui même à l'action. Habillé de son plus beau burnous, et de son plus beau chèche, il prit sa canne, et descendit jusqu'à la fontaine du village. Là, derrière un buisson, il l'attendit. C'était à peu prés l'heure où Baya vient remplir sa cruche et il savait qu'elle ne refuserait pas de discuter avec lui, ne serait ce que par respect. Il a quand même l'âge de son père !
Baya fredonnait un air doux, en descendant la pente raide et rocailleuse, ses pieds nus sautaient habilement d'un rocher à un autre. Elle s'arrêta pour souffler, et déposa sa cruche. C'est le moment que choisi si Athmane pour sortir de sa cachette.
- "Bonjour Baya. Comment vas-tu ma fille ? "
Baya sursauta et se retourna brusquement.
- "Ah ammi Athmane, tu m'as fais une de ces peurs !
- Moi je te fais peur ? Allons donc Baya !Une fille aussi belle que toi n'a pas le droit d'avoir peur , au contraire qui en voudrait à une créature de rêve sortie directement du paradis ".
Baya qui ne s'attendait pas à de tels propos de la part d'un vieillard, comme Si Athmane, rougit jusqu'à la racine des cheveux et baissa les yeux. Elle ramassa furtivement sa cruche et s'apprêta à remonter la pente.
- Attends Baya attends, j'ai à te parler.
Pétrifiée, Baya se retourna quand même, interrogeant si Athmane du regard.
- Ecoute Baya, tu es une belle fille, et tout le village sait que tu as des mains de fée et un cœur d'ange . Veux tu devenir ma femme ?
Baya lacha sa cruche : Quoi ? ……..moi…….toi………heu…………" Elle balbutia quelques paroles inaudibles ; puis relevant les pans de sa robe, elle s'enfuit sans demander son reste.
Si Athmane qui ne s'attendait pas à une telle réaction, se lança à sa poursuite en balançant son bâton : "Attends Baya, attends ma fille criait-il à gorge déployée. Quelques passants, le prenant pour un fou, essayèrent de l'arrêter. Il leur asséna quelques coups et réussit à se dégager pour poursuivre sa course. Arrivé sur la plus haute roche, il fera un faux bond, et dégringolera de tout son long. Sa tête heurta une grosse pierre, et il rendit son dernier soupir sur le champ.
Depuis ce fait, la famille de si Athmane vécue en paix, et s'évita la honte et le déshonneur qu'un vieillard grincheux et à moitié fou, voulait lui coller.
Y. H.


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