Emeutes, suicides, affrontements entre populations, harga... Comment expliquez-vous toutes ces contestations multiformes qui secouent l'Algérie ? La tendance est lourde. La protestation dure depuis plusieurs années. Au début, elle était circonscrite dans les grandes villes qui connaissent des problèmes sociaux plus importants. Aujourd'hui, ce mouvement contestataire multiforme, qui a tendance à se radicaliser et à être de plus en plus violent, se propage dans d'autres régions du pays et touche les petites villes et les localités notamment de l'extrême Sud, connues pourtant pour leur calme imperturbable. L'émeute est devenue la forme la plus expressive du mécontentement populaire, dû aux divers et complexes problèmes de la société. Elle exprime des revendications collectives d'une manière claire. Des revendications « globalisantes ». C'est-à-dire, ces populations versées dans la protesta expriment des préoccupations non seulement d'ordre social, mais aussi d'ordre économique, culturel, cultuel… L'émeute est une violence positive qui manifeste de l'espoir. Les émeutiers ne sont pas des gens complètement désespérés. Ils croient encore au changement, à l'amélioration de leur vécu, de leurs conditions de vie ; ce sont ceux qui croient toujours en l'avenir, en l'Etat, en leur pays. Les harraga, en revanche, sont ceux qui ont perdu l'espoir de vivre dignement, décemment dans leur pays. Ils n'y voient aucun avenir et pensent que leur vie serait meilleure sous d'autres cieux. Ce sont ceux qui ont perdu confiance en les solutions collectives. Quant aux candidats au suicide et à d'autres formes d'autoflagellation, ils expriment une désespérance totale et absolue de la vie et n'y voient aucune issue que de s'en aller à jamais. Quel message peut-on tirer de ces mouvements de protestation ? L'émeute porte un message qui n'est pas différent de celui de la grève. Ces deux modes de protestation expriment, comme tant d'autres, la vitalité de la société qui réagit à des situations intenables, inacceptables… Faire l'émeute peut être un acte positif dans le sens où cela permet à la société de s'exprimer vivement et de poser ses problèmes. Cela lorsque les émeutes ne sont pas instrumentalisées. Et les émeutes enregistrées au cours de ces dernières années dans différentes régions du pays que ce soit à Timimoun, à Beni Abbès ou à Tiaret sont toutes spontanées. Ce sont des réactions machinales à un cumul de problèmes. Pourquoi l'émeute est-elle devenue la forme de revendication et d'expression du mécontentement la plus récurrente ? Si la population recourt à la violence comme forme d'expression, c'est parce que les canaux du dialogue et de la concertation sont inopérants. Les autorités tant au niveau local que national n'écoutent pas les préoccupations des citoyens. Les partis et le mouvement associatif ne jouent pas leur rôle au sein de la société. Les institutions de régulation sont quasi absentes. Tous ces facteurs et bien d'autres font que les citoyens se sentent seuls, livrés à eux-mêmes. Pour attirer l'attention sur leurs problèmes, ils préfèrent user de la manière la plus forte qu'est l'émeute. Ces vagues de violences naissent ainsi de ce climat de la « non-gouvernance » des affaires du pays. Que pensez-vous de la gestion du gouvernement de cette contestation ? La répression ne réglera jamais le problème. Ni même le mépris. L'Etat doit apporter des solutions urgentes à tous les problèmes dans lesquels se débat la population. Les institutions doivent ouvrir leurs portes à la société, l'écouter et œuvrer par tous les moyens pour répondre à ses aspirations. Les partis politiques doivent, eux aussi, consacrer la culture du dialogue dans leurs mœurs politiques et être davantage près des citoyens. Il faut vitaliser les associations, les partis politiques ainsi que l'administration. Cela permettrait de rétablir la confiance entre le citoyen et l'Etat. Ces vagues de violence ne risquent-elles pas d'être un facteur déstabilisateur du pays ? Cela peut constituer une menace pour la stabilité du pays dans le cas où ces mouvements de protestation seraient instrumentalisés et utilisés à d'autres fins. Mais on est, pour l'instant, face à une contestation qui n'est que l'expression d'un malaise profond ressenti par la société. Elle n'obéit à aucune logique politique ou partisane. Mais si les choses restent en leur état actuel, la contestation pourrait être instrumentalisée et utilisée pour nuire à l'unité et à la stabilité du pays. Sans une prise en charge réelle des problèmes qui sont à l'origine de ces tensions, le pays risque de s'installer dans l'instabilité chronique qui va fragiliser davantage l'Etat.