L'Algérie est-elle prête à livrer la bataille des HQ ? C'est simple : il s'agit de la main-d'œuvre hautement qualifiée. Des chercheurs, des scientifiques, des maîtres de l'innovation, des porteurs d'idées nouvelles, bref, ces génies qui font courir toutes les puissances économiques. Le débat est lancé pour la première fois en Algérie par l'Institut maghrébin des douanes et de la fiscalité (IMDF) de Koléa, en collaboration avec l'université Jean Moulin de Lyon (France), à travers un colloque sur « les flux migratoires sélectifs ». Le sociologue Ali El Kenz a observé que les HQ ont remplacé les OS, ces ouvriers spécialisés, notamment algériens, qui avaient fait le bonheur de l'industrie française dans les années 1960. « Des OS qui étaient invisibles. Ils ont gardé ce statut toute leur vie à cause d'un système syndical qui ignorait leur droit à la formation. Aujourd'hui, gauche et droite s'allient pour attirer les HQ », a-t-il précisé. Citant l'exemple des médecins français, il a relevé que ce métier est tellement protégé qu'il entrave l'arrivée de praticiens d'autres pays. « C'est ce qui a sauvé la faculté de médecine d'Alger », a appuyé Ali El Kenz, qui n'ignore pas la tentation de partir chez les jeunes médecins algériens, formés uniquement en français. Selon lui, la diaspora scientifique peut être utile au pays à condition d'être identifiée, connue. Interrogé par la presse, Ali El Kenz a cité l'exemple de l'Inde qui répertorie, à travers ses ambassades, tous les savants et scientifiques qui vivent dans un pays dans l'éventualité de faire appel à eux en cas de besoin. L'encadrement de travaux de recherche, les universités d'été, les cycles de formation sont, selon lui, des moyens pour tirer profit de l'expérience des Algériens établis à l'étranger. Point de vue partagé par Mounir Berrah, professeur polytechnicien, qui a noté qu'il faut laisser la libre circulation du savoir. « Il faut offrir aux compétences expatriées des opportunités d'entreprenarait transnational dans le cadre de la “circulation des cerveaux” », a-t-il expliqué. Mounir Berrah ne croit pas trop à l'idée d'un retour des chercheurs et scientifiques vivant en dehors de l'Algérie. Manière de répondre, peut-être, à l'annonce faite, jeudi 24 avril, par Rachid Harraoubia, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, sur les cadres émigrés qui décident de retourner au pays. « Ils garderont leur statut, titres, fonctions et expériences scientifiques acquises à l'étranger », a-t-il déclaré, cité par l'agence officielle APS. M.Harraoubia n'est pas venu à Koléa défendre son projet qui ne semble pas faire l'unanimité. Prudent, Karim Djoudi, ministre des Finances, a appelé à engager une réflexion sur cette thématique large, fortement liée à la mondialisation. Selon Ali Boukrami, directeur de l'IEDF, l'avènement du numérique et la consécration de l'économie fondée sur la connaissance sont des paramètres à prendre en compte pour l'étude des flux migratoires sélectifs. Soulignant l'importance de la concurrence entre systèmes de formation, il a relevé que l'évaluation des universités du sud de la Méditerranée n'est pas encourageante. Parlant de la mobilité, il a cité l'exemple des mathématiciens qui exercent dans plusieurs universités à la fois. « Il est devenu fréquent de constater que les professeurs russes enseignent les mathématiques à un auditoire chinois dans un amphithéâtre américain ! », a relevé M. Boukrami. La fuite des cerveaux s'explique, selon Mounir Berrah, par les statuts peu valorisants (salaires bas, par exemple) et par la faiblesse des systèmes nationaux d'innovation. « L'aspiration légitime des pays en voie de développement à récupérer leurs compétences expatriées en espérant leur retour a montré ses limites. Le défi pour ces pays est plutôt d'œuvrer pour retenir ceux qui ne sont pas partis », a-t-il préconisé. Aux yeux de Aïcha Kouadri, présidente de l'association Afcar, il est nécessaire de contrecarrer les politiques dites d'immigration choisie. Le risque ? « Dépouiller les pays d'une ressource humaine hautement qualifiée, formée pendant des décennies à un coût très élevé », a-t-elle ajouté. La femme, autant que l'homme, quitte, d'après Aïcha Kouadri, le pays pour améliorer sa situation économique. L'image de l'épouse qui rejoint son époux migrant est révolue. « En France, l'immigration féminine représente 54% de l'ensemble de l'immigration : la première place est occupée par les Portugaises et la deuxième par les Algériennes », a-t-elle indiqué. Les règles actuelles de flexibilité imposent, selon Ali Boukrami, le refus du statu quo, le renouvellement constant des élites et un système fondé sur le mérite et non pas sur « les statuts et l'ancienneté » .